L’emblématique chanteuse palestinienne qui a consacré sa vie à ce en quoi elle croyait est décédée samedi 24 mars [2018] à l’âge de 51 ans.

Cinquante et une années peuvent sembler trop courtes pour une vie, mais pour une artiste exceptionnelle comme Rim Banna, c’est un millier d’années formidables. Avec un sourire fier, Rim a quitté ce monde hideux, laissant nos cœurs dans une grande douleur.

Je me souviens de Rim à ses débuts, lorsqu’elle se produisait dans des manifestations politiques à Nazareth, notre ville, et des concerts qu’elle donnait dans les soirées des camps de volontaires de Nazareth à la fin des années 1980.

Il s’agissait de camps politiques de bénévoles qui rassemblaient des Palestiniens venus de toute la Palestine historique. Ils constituaient une alternative aux politiques israéliennes de discrimination et d’oppression. Rim était là. J’étais gamine, mais elle était déjà une légende pour moi.

Dès le début, Rim a choisi sa propre voie. Elle a choisi d’être une artiste de principes et d’être un exemple d’inspiration. Elle a choisi les valeurs plutôt que le profit, et l’authenticité plutôt que la célébrité. Elle était une humble et modeste musicienne et chanteuse, qui a consacré sa vie à ce en quoi elle croyait. Dans un monde de « célébrités » et de gloire, sa voix était rare.

Avec treize albums, elle était aussi une musicienne active qui écrivait, composait et chantait. Elle a également chanté des poèmes d’éminents poètes palestiniens comme Taoufik Ziyad, Samih al-Qâsim, Mahmoud Darwish et d’autres, y compris des poèmes pour sa mère, Zahira Sabbag.

Des positions claires comme de l’eau de roche

Elle a chanté pour la liberté, les révolutions, les prisonniers politiques et bien plus encore. Elle s’est spécialisée dans les chansons pour enfants, avec lesquelles elle s’est remarquablement distinguée. Grâce à trois albums pour enfants, elle a fait revivre les berceuses traditionnelles des enfants et, à travers elles, est devenue présente dans toutes les maisons palestiniennes et dans tous les souvenirs des enfants.

Rim s’est battue et a travaillé jusqu’à la fin. Deux mois avant son décès, elle s’est envolée en Suède pour travailler sur son nouvel album, qui devrait sortir ce printemps.

Elle a exprimé sans crainte son soutien aux révolutions à travers le monde arabe, une position qui ne fut pas toujours aussi évidente qu’il n’y paraît, en particulier dans le cas de la Syrie.

Mais Rim était l’une des très rares voix courageuses d’artistes et de musiciens d’aujourd’hui à s’exprimer de manière claire et forte aux côtés du peuple syrien contre la tyrannie du régime du président Bachar al-Assad.

Elle n’a pas hésité une seconde. Sa position a toujours été claire comme de l’eau de roche : sa place était aux côtés des opprimés contre l’oppresseur.

Ceux qui connaissaient les défis auxquels Rim a dû faire face dans sa vie apprécient sa détermination et sa capacité à transmettre espoir, optimisme et force.

Mère célibataire aux prises avec la vie pour élever ses trois enfants, elle s’est battue avec dignité et fierté, tout en luttant contre le cancer et d’autres problèmes de santé chroniques qui ont éclaté au cours de la dernière décennie, y compris la perte de sa voix et par conséquent, la possibilité de faire ce qui la passionnait le plus.

De belles photos

En tant qu’amie, Rim était toujours disponible, même dans les moments les plus difficiles de sa vie. Elle aimait les messages vocaux plus que les messages écrits, même lorsque sa voix la trahissait.

Pour tout le monde, elle était toujours facile à atteindre, il n’y avait pas de barrières, pas de masque de star et pas d’ego. Quand elle s’est tue, nous savions tous que quelque chose n’allait pas.

Elle a laissé tout le monde entrer dans sa vie à travers ses pensées et ses photos via ses comptes, très actifs, sur les réseaux sociaux. Elle a partagé ses peurs, ses sentiments, sa sagesse et son optimisme.

Quand elle ne voyageait pas, Rim partageait presque chaque jour une belle photo de sa magnifique maison dans la vieille ville de Nazareth.

D’une manière ou d’une autre, une ligne commune relie sa maison, son corps et son cœur. Dans sa maison, elle possède une collection d’objets et de beaux accessoires provenant de partout dans le monde, à l’image de son cœur qui a construit des amitiés et des relations à travers les frontières et les barrières.

Ses photos ont toujours transmis des couleurs, la vue d’un coucher de soleil depuis une fenêtre, ses plantes et ses fleurs, ses accessoires faits à la main et ses articles en crochet. Nous discutions beaucoup de photographie, et elle allait commencer à me parler de toutes les applications qu’elle utilisait et qui me donnaient l’impression d’être si ignorante.

Un jour, je lui ai dit : « Je pense que si tu n’étais pas musicienne, tu ferais une merveilleuse photographe », et nous avons ri.

Dans le communiqué de sa famille, ils ont écrit : « Elle est partie en ayant accompli ses devoirs nationaux envers son peuple palestinien et toutes les personnes faisant face à des injustices. »

C’est Rim, c’est l’héritage qu’elle a laissé derrière elle, et c’est ainsi qu’elle aimerait qu’on se souvienne d’elle, comme une artiste de principes et de valeurs.

Trois semaines avant sa mort, elle a dit au revoir, à sa manière : « La vie est belle et la mort est comme l’histoire, un faux épisode ».

Repose en paix, chère Rim. On se souviendra toujours de toi comme d’une femme et d’une amie extraordinaires. Ton héritage restera pour toujours avec nous.

Abir Kopty est un écrivaine palestinienne et doctorante.

 

Source : Middle East Eyes