Dans le magma de films et séries proposés en ces temps de confinement, nous avions, nous aussi, envie de vous soumettre quelques bobines cinématographiques pour occuper vos soirées. Alors chaque dimanche, jusqu’à la fin du confinement (et qui sait, peut-être après), nous vous proposons un film palestinien ou lié à la Palestine et à son histoire.

Avant de vous jeter sur le film de cette semaine, revenons brièvement sur l’histoire du cinéma palestinien. Sans s’étaler sur celle-ci, on pourra tout de même dire qu’il est évidemment un cinéma de résistance. Son histoire est étroitement liée à celle de la lutte palestinienne. Si on met de côté les toutes premières images tournées en Palestine par… les frères Lumières en 1896, empreintes de l’orientalisme bien ancré de l’époque, le premier film palestinien est réalisé en 1935 à l’occasion de la visite à Jérusalem et Jaffa, du Prince Saoud (Arabie Saoudite), accueilli par Haj Amine al-Husseini, Mufti de Palestine. Derrière la caméra, Ibrahim Hassan Sirhan et Jamal al-Asfar qui réaliserons un peu plus tard Realized Dream, un film sur la question des orphelins.

Les images produites par les frères Lumières :

Puis la Nakba1 surgit et le sionisme tentent d’arracher leurs terres et leur histoire aux Palestinien·ne·s. Marqué par l’expulsion, l’exil, les massacres, le cinéma se fait plus rare jusqu’à 19672 et la défaite de la guerre des 6 jours. Dans la foulée, une Unité de cinéma palestinien est créée sous l’égide de l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine). Elle évoluera au fil des années (de Jordanie, elle passera au Liban après les événements de « septembre noir »3) et une multitude de films (essentiellement documentaires) verront le jour malgré les faibles moyens qui lui sont attribués. La caméra est alors partie intégrante de la lutte palestinienne, comme arme d’information et de propagande révolutionnaire. La guerre civile libanaise4 provoquera la perte de nombreuses productions cinématographiques et l’OLP quittera Beyrouth pour Tunis (1982) en laissant les bobines au Liban. Des années plus tard, des professionnel·le·s et des passionné·e·s remettront la main sur ces nombreuses traces de l’histoire palestinienne pour les restaurer, les classer et les diffuser. Cette période est marquée par un cinéma résolument politique et tourné vers la lutte.
Aujourd’hui, le cinéma palestinien rayonne à travers de nombreux festivals5 dans le monde et les réalisateurs et réalisatrices palestiniennes sont de plus en plus reconnu·e·s au niveau international malgré des conditions de productions difficiles dues à l’occupation. Mohammed Bakri, Michel Khleifi ou encore Annemarie Jacir en sont de grand·e·s représentant·e·s.

Pour notre Bobine palestinienne #1, nous vous proposons « Les 18 fugitives », un film documentaire d’Amer Shomali et Paul Cowan sorti en 2014 (Canada/ France / Palestine) / durée : 74 minutes, et dont voici le synopsis :

LES 18 FUGITIVES raconte un étonnant fait historique : la traque d’un troupeau de dix-huit vaches déclaré ennemi public numéro un par l’armée israélienne.
En 1987, les dirigeants palestiniens demandent à la population locale de développer des alternatives locales aux produits israéliens. Dans le village de Beit Sahour, en Cisjordanie, un groupe d’activistes composé d’intellectuels et de militants décide de lancer une coopérative laitière. Ils ne sont pas fermiers mais peu importe, après l’achat de 18 vaches dans un kibboutz israélien et leur transfert en contrebande jusqu’à leur village, les apprentis éleveurs se forment et apprennent à produire ce lait qui sera distribué dans toute la région de Bethléem.
Le succès de la coopérative finit par attirer l’attention des autorités israéliennes, qui l’accuse de menacer la sécurité nationale. C’est une vraie traque qui commence, les soldats jouant au chat et à la souris avec les ruminants. Alors que les vaches sont cachées et transférées sans cesse d’étables en foyers et de foyers en grottes, fuyant des poursuivants déterminés à les trouver, leur lait entre dans la légende comme le « lait de l’intifada ». Malgré les arrestations, la production clandestine de lait continuera pendant plusieurs années, grâce à la complicité de tous les habitants.
LES 18 FUGITIVES est un documentaire animé raconté du point de vue des vaches et des activistes. Les vaches incarnent l’esprit d’ingéniosité et de résilience de l’Intifada palestinienne. Drôles et touchantes, elles sont présentées comme des personnages animés au caractère bien trempé et au point de vue unique. Le film donne aussi la parole aux activistes qui ont lancé la coopérative, leur famille, amis, et à tout ceux dont la vie a été bouleversée par cette histoire. Ce film défend avec humour, intelligence et sincérité, la force de la résistance pacifique et le courage des individus.

Bon visionnage !

 

1 En 1948, c’est la Nakba (« catastrophe ») en Palestine. Entre 700 000 et 800 000 Palestinien.ne.s seront expulsé.e.s de leurs terre par les milices sionistes et s’installeront dans les pays arabes voisins (Syrie, Jordanie, Liban, etc.) ainsi qu’à l’intérieur même de la Palestine. Depuis, environ 6 millions de Palestinien·ne·s vivent en-dehors de leur pays et revendique le droit au retour.

2 En 1967, l’occupant israélien lance la Guerre des six jours (du 5 au 10 juin) qui oppose l’armée sioniste à l’Égypte, la Jordanie, la Syrie et les combattants Palestiniens repliés dans le sud Liban. Suite à cette guerre furtive, les sionistes triplent leur territoire en s’emparant de la Bande de Gaza, du Sinaï, du plateau du Golan Syrien ainsi qu’une partie de la Cisjordanie et la vieille-ville de Jérusalem.

3 En septembre 1970, la monarchie du roi Hussein attaque la résistance palestinienne qui s’est organisée à la frontière avec la Palestine occupée, suite à la Nakba et principalement après la guerre de 1967. La résistance palestinienne s’installe donc au Liban ou elle prendra une autre ampleur.

4 La guerre civile du Liban s’est déroulée de 1975 à 1990 et a principalement opposé la gauche libanaise et les fedayins palestiniens au camp réactionnaire des phalanges chrétiennes soutenu par Israël.

5 En France, il existe notamment, Ciné Palestine Paris et Ciné Palestine Toulouse