L’Union européenne cherche à criminaliser la lutte palestinienne pour la libération nationale. Badil, l’organisation de défense des droits de l’homme que je représente, refuse de s’accommoder des mesures de l’UE. Nous avons déjà été pénalisés pour nous être tenus à nos principes. Il y a quelques semaines, l’UE nous a informés qu’une demande de financement que nous avions faite n’était « plus valable ». La subvention pour laquelle nous avions fait une demande serait de près de 2 millions de dollars sur une période de trois ans. Mais les conditions dont elle était assortie étaient totalement inacceptables. Pour recevoir ce financement, l’UE avait insisté pour que Badil signe un document considérant sept groupements politiques palestiniens comme des organisations terroristes. Depuis juillet 2019, l’UE stipule qu’une telle clause doit être insérée dans tous les contrats de financement qu’elle conclut avec les organisations qui reçoivent ses fonds. La clause « anti-terrorisme » ne respecte pas le droit international. La Palestine est un pays sous occupation militaire. Les Palestiniens sont confrontés à une colonisation constante et sont soumis à un système d’apartheid. En vertu du droit international, les Palestiniens ont le droit de résister, y compris par le biais d’une lutte armée. Bien que l’Union européenne n’ait pas tenu Israël responsable de ses crimes contre l’humanité, l’UE a été disposée à financer les organisations palestiniennes qui enquêtent et font campagne contre ces crimes. Dans le passé, l’UE n’a pas cherché à microgérer les activités des groupes palestiniens. En assortissant ses subventions à de nouvelles conditions, l‘UE imite maintenant Israël et les États-Unis, qui ont longtemps présenté la résistance comme du terrorisme.

Diviser

Si l’UE a le pouvoir de fixer des règles pour les bénéficiaires de l’aide, elle ne peut pas imposer l’idéologie occidentale aux Palestiniens. Les conditions imposées par l’UE sont source de divisions. Tout groupe qui les accepterait se mettrait en porte-à-faux avec le consensus national palestinien. Le groupe s’isolerait du reste de la société civile palestinienne. Dans les nouvelles conditions, les bénéficiaires de l’aide doivent passer au crible leur propre personnel, leurs partenaires et les bénéficiaires potentiels du projet financé. L’objectif déclaré de ce filtrage est de s’assurer que les personnes qui sont membres ou affiliées à des organisations « terroristes » sont exclues du financement. Ces conditions obligeraient les Palestiniens à décider qui peut et ne peut pas participer à un projet financé par l’UE ou en bénéficier. Cela saperait la crédibilité des organisations palestiniennes et nuirait à nos relations avec notre propre peuple. Ce n’est pas à nous d’agir en tant que police. Le filtrage est de la responsabilité des États ou des agences gouvernementales. Les organisations de la société civile palestinienne travaillent clairement dans un contexte politique – celui de l’occupation, de la colonisation et de l’apartheid. En nous imposant de nouvelles conditions, l’UE tente d’effacer ce contexte politique (sans, bien sûr, mettre fin à l’occupation, à la colonisation et à l’apartheid). Cela correspond à un schéma qui s’est établi depuis la signature des accords d’Oslo entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine dans les années 1990. Les Palestiniens sont tenus de suivre un programme conçu pour plaire à nos oppresseurs – l’État d’Israël. Lorsque notre refus d’accepter les conditions de l’UE a été rendu public, Badil a été décrit comme un groupe « radical » dans la presse israélienne. Nous avons également été accusés – sans preuve – d’être antisémites. Le gouvernement israélien a félicité l’UE pour ses conditions. L’UE prétend être neutre et impartiale et se présente comme un « honnête courtier » dans le « processus de paix » au Moyen-Orient. Notre expérience et celle de beaucoup d’autres nous oblige à reconnaître que l’UE n’est pas impartiale. Elle n’est pas non plus vraiment l’amie des Palestiniens et de notre lutte pour les droits humains fondamentaux. Les actions sont plus éloquentes que les mots. Les représentants de l’UE ont essayé d’offrir des assurances et des éclaircissements aux organisations palestiniennes. Pourtant, ils ont rejeté les propositions faites par Badil pour des alternatives aux nouvelles conditions.

Deux poids, deux mesures

En réalité, l’UE se contente d’exprimer un intérêt de pure forme pour le large éventail de droits des Palestiniens, y compris le droit à l’autodétermination nationale et le droit au retour de nos réfugiés. En prétendant se soucier des droits humains, tout en montrant un grand désir de plaire à Israël et aux États-Unis, l’UE fait preuve d’une flagrante politique de deux poids deux mesures. De nombreuses organisations de la société civile palestinienne ont clairement indiqué que nous ne nous plierons pas aux exigences de l’UE. La Campagne nationale palestinienne pour le rejet du financement conditionnel a été créée en décembre de l’année dernière. Badil est un membre fondateur de cette campagne. La campagne a été très active. Elle a tenu des dizaines de réunions et entrepris de nombreuses activités de sensibilisation sur les médias sociaux. La dernière réunion du comité directeur de la campagne a eu lieu en juin à Ramallah, une ville de Cisjordanie occupée. Lors de cette réunion, le comité a convenu de mettre fin à la coopération avec le petit nombre d’organisations palestiniennes qui ont jusqu’à présent signé un accord de subvention avec l’UE contenant les nouvelles conditions. Le comité a également décidé de boycotter tous les représentants de l’UE et les délégations en visite. D’autres actions possibles sont à l’étude. Elles comprennent l’organisation d’une grande conférence pour souligner les problèmes liés aux conditions de l’UE, ainsi que l’organisation de manifestations de rue contre ces conditions. Nous examinons également comment encourager davantage le bénévolat parmi les Palestiniens afin de réduire notre dépendance vis-à-vis du financement des institutions internationales. Une autre idée a été évoquée, celle de mettre en commun les ressources des organisations palestiniennes et de permettre aux membres du personnel de bénéficier de réductions de salaire. Les actions futures de la campagne dépendront de la réponse que nous recevrons de l’UE et d’autres donateurs d’aide internationale à nos demandes, ainsi que de la situation de la santé publique résultant de la pandémie de la COVID-19. Le peuple palestinien – y compris la majorité des organisations de la société civile – reste ferme et fidèle à ses principes dans sa lutte pour les droits humains et la justice. Le fait que seul un petit nombre d’organisations aient jusqu’à présent signé des contrats de l’UE contenant les nouvelles clauses montre que nous sommes pour la plupart unis dans le rejet du financement conditionnel. Le travail de Badil sera certainement plus difficile parce que nous avons refusé d’accepter un financement assorti des conditions de l’UE. Le projet de 2 millions de dollars pour lequel nous avions demandé un financement nous aurait permis de mener des recherches essentielles sur les crimes contre l’humanité commis par Israël dans la région de Jérusalem. Il visait également à accroître l’efficacité et l’impact du mouvement de solidarité avec la Palestine au niveau international. Ce n’est pas la seule subvention que nous avons refusée. Badil s’est retiré des contrats avec trois autres donateurs parce qu’ils avaient des conditions « anti-terrorisme » similaires. Les organisations palestiniennes savent que nous allons payer un prix élevé pour avoir refusé d’accepter de telles conditions. Mais c’est un prix que nous sommes prêts à payer.

Lubnah Shomali travaille en tant que responsable de la défense des droits avec le Badil Resource Center for Palestinian Residency and Refugee Rights. Site web : http://www.badil.org/en/

 

Source : Electronic Intifada – Traduction : Collectif Palestine Vaincra