Ibrahim à son tortionnaire israélien : « Avez-vous déjà interrogé une table ? Je suis une table maintenant. Allez interroger une table. Si elle vous parle, revenez ici et vous constaterez que je suis devenu une montagne. » – Ibrahim al-Rai, cité dans un manuel publié par le Comité pour la première commémoration du martyr Ibrahim Mahmood al-Ra’i.

 

À l’occasion du [33e] anniversaire de son assassinat derrière les barreaux israéliens, le réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens Samidoun salue la mémoire d’Ibrahim al-Rai (Abu al-Muntasser), le héros des salles d’interrogatoire. Ibrahim al-Rai a été tué sous la torture par ses geôliers israéliens dans les cellules d’interrogatoire où il a été détenu et torturé pendant plus de 10 mois d’isolement cellulaire, le 11 avril 1988. Jusqu’à sa mort, il n’a donné aucun mot de confession à ses geôliers et tortionnaires.

Sa vie révolutionnaire de lutte et de résistance continue d’inspirer les Palestiniens et les internationalistes partout dans le monde, non seulement pour sa fermeté derrière les barreaux mais aussi pour son amour intransigeant et son engagement envers le peuple palestinien et sa libération.

Né en 1960 à Qalqilya, Ibrahim al-Rai a rejoint le Front populaire pour la libération de la Palestine [FPLP] en 1978 après deux ans de participation active à la lutte populaire. Il a été arrêté pour la première fois en août 1978 pour son rôle au Front et a été libéré en 1982. Il a été libéré dans le cadre d’une campagne menée par l’occupation israélienne pour promouvoir les soi-disant « ligues de village » comme alternative à la révolution palestinienne et à sa direction.

À sa libération, il a déclaré publiquement : « Ces gens ne représentent qu’eux-mêmes et l’OLP est le seul représentant légitime du peuple palestinien », à l’époque une déclaration révolutionnaire qui a ouvertement défié l’occupation. Il a été renvoyé en prison pour terminer sa peine initiale.

Il était actif dans tous les domaines de la lutte, organisant des activités culturelles de masse, des groupes de dabkeh et des symposiums pour la jeunesse. Il a créé le Pôle étudiant démocrate progressiste à l’Université An-Najah de Naplouse avant de se consacrer à l’activité politique à Qalqilya ainsi qu’à la résistance armée dans tout le nord de la Cisjordanie de la Palestine occupée.

Il a formé des comités de travail bénévole qui ont récolté du blé avec les agriculteurs, fourni une assistance aux pauvres et aux marginalisés, reconstruit les propriétés endommagées, nettoyé les cimetières et peint des écoles dans les camps de réfugiés. Il s’est fortement inspiré des luttes internationales et arabes, notamment du mouvement de libération algérien et de la guerre du peuple vietnamien.

En 1986, il a été à nouveau arrêté et interrogé sous la torture pendant neuf mois, période au cours de laquelle il a refusé de fournir des aveux malgré les tortures les plus pénibles. Même après avoir été condamné à 7,5 ans de prison, il n’a pas été envoyé dans les cachots collectifs avec des codétenus mais a au contraire été placé en isolement, privé de la possibilité de prendre une douche, de se raser ou de changer de vêtements.

Au cours de cette période, il a été détenu pendant 58 jours dans les cellules d’interrogatoire de la prison de Jénine, puis transféré dans les cellules d’interrogatoire de l’ancienne prison de Naplouse, et de là vers l’infâme centre de détention d’al-Moskobiyeh. Il a suivi une grève de la faim tout au long de son séjour au centre de détention de Moskobiyeh jusqu’au 29 novembre 1987, date à laquelle il a été transféré à la prison de Ramleh et jeté en cellule d’isolement, où la torture et les interrogatoires se sont poursuivis.

Pendant qu’il était détenu à al-Moskobiyeh, il a écrit sur les murs de sa cellule : « Mes camarades, ils peuvent me pendre et c’est possible, et s’ils me pendent, ils ne me tueront pas, car je resterai en vie. Je vais les défier et je ne mourrai pas, et souvenez-vous de moi, je resterai en vie au rythme de votre cœur. »

Son exemple représentait la « philosophie de la confrontation derrière les barreaux » et la résistance aux interrogatoires qui en résultait était le sumoud palestinien, ou la constance. Deux jours avant sa mort, il a envoyé une lettre aux membres de sa famille :

« Ma famille bien-aimée, ma charmante mère, mes sentiments les plus passionnés. J’ai reçu votre lettre et, en effet, je la lis presque tous les jours car elle recèle des significations immenses qui me motivent et me donnent de nouveaux pouvoirs chaque seconde que je passe dans ma cellule d’isolement. Le poème que les camarades m’ont dédié m’émeut profondément et me mobilise pour être vraiment le héros [inébranlable]… Je me rends compte que mon isolement cellulaire est censé me séparer socialement et culturellement, mais leurs plans échoueront. L’augmentation des souffrances et des épreuves ne s’arrêtera pas; cela me motive à continuer…. Ma bien-aimée, je souhaite que vous demandiez à l’avocate de me rendre visite car il y a des questions dont je dois discuter avec elle concernant mon isolement cellulaire et mon cas. »

 

Ibrahim al-Rai est considéré comme le Bobby Sands du mouvement des prisonniers palestiniens, symbole non seulement des prisonniers mais de l’engagement de tout un peuple à résister au colonialisme, au sionisme et à l’impérialisme. Son expérience a inspiré une génération de Palestiniens, les incitant à refuser d’avouer sous la torture, et le slogan « Résister, résister comme al-Rai » reste un appel à la conscience révolutionnaire palestinienne qui refuse de se briser ou de plier.

 

Article initialement publié le 11 avril 2020

 

Source : Samidoun – Traduction : Chronique de Palestine