A l’occasion du 54e anniversaire de la fondation du Front Populaire de Libération de la Palestine, nous relayons la préface en français de la nouvelle édition de « Stratégie pour la libération de la Palestine ». Publié initialement en 1969, la maison d’édition Foreign Languages Press vient de republier la version française grâce au travail de traduction de la Plateforme Charleroi pour la Palestine.
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Pour les mouvements qui ont reçu son appel au moment de sa publication en 1969, la conception unifiée de la politique et de l’action dans la Stratégie pour la libération de la Palestine implique qu’elle était bien plus qu’un document politique, la rendant toujours aussi pertinente aujourd’hui comme guide pour l’action.

Ce texte formule une analyse du mouvement palestinien en tant que cause palestinienne, arabe et internationale et une compréhension claire de l’éventail des ennemis dirigés contre le peuple palestinien, soit le sionisme, l’impérialisme, l’État israélien et la réaction arabe. C’est cela qui a motivé les mouvements internationaux engagés dans ces luttes en France, en Belgique, dans toute l’Europe et dans le monde entier à se joindre à la cause palestinienne, souvent, mais pas seulement, avec le Front populaire de libération de la Palestine. Les révolutionnaires internationaux ont afflué dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban pour se joindre à la cause, en ouvrant des cliniques médicales, en concevant des affiches et du matériel écrit pour leur pays d’origine et en se joignant directement à la bataille.

De même, dans la perspective du dicton de Wadie Haddad, à savoir « être derrière l’ennemi partout », les combattants palestiniens et arabes ont juré de poursuivre la bataille en Europe, dont les projets coloniaux sont responsables de la colonisation sioniste de la Palestine, de la dépossession du peuple palestinien et de l’occupation de la terre palestinienne.

Haddad, né en 1927 à Safad, en Palestine, est l’un des cofondateurs du Mouvement nationaliste arabe et plus tard du Front populaire de libération de la Palestine, avec son collègue George Habash, étudiant en médecine à l’Université américaine de Beyrouth. Il a été l’un des créateurs de la stratégie de lutte armée internationale du FPLP, y compris le détournement d’avions.

Il ne s’agissait pas d’opérations destinées à créer la « terreur » par le meurtre et les blessures, mais à bouleverser le cadre dans lequel les opprimés sont constamment vulnérables à toutes les formes d’attaque, de dépossession et de destruction alors que l’oppresseur est capable de s’asseoir confortablement sans crainte. Ils ont en outre indiqué que la révolution palestinienne pourrait matériellement amener la bataille au cœur de l’impérialisme, car il était déjà clair que l’impérialisme pouvait faire tomber sa puissance militaire sur le peuple palestinien.

C’était une époque de lutte naissante au niveau mondial. L’Algérie avait vaincu le colonialisme français et le Vietnam était en train de vaincre l’impérialisme français, puis américain. En France, en Belgique et ailleurs en Europe, les révolutionnaires étaient prêts à porter cette bataille dans les rues de leurs pays, tandis que les révolutionnaires arabes se joignaient à eux pour faire de même.

Les révolutionnaires internationaux qui se sont joints à la lutte palestinienne n’étaient pas seulement européens ; Patrick Arguello était un Nicaraguayen américain et un membre du Front sandiniste qui s’est joint à Leila Khaled pour détourner un vol d’El Al. L’Armée Rouge Japonaise considérait son implication dans la lutte armée palestinienne comme faisant partie intégrante de ses efforts pour construire un mouvement révolutionnaire au Japon. Les mouvements palestinien et arabe ont combattu ensemble, de Bahreïn à Oman, du Maroc à la Palestine occupée, pour la libération arabe.

La Stratégie pour la libération de la Palestine reste un document essentiel aujourd’hui. Malgré les vastes changements d’alignement international, la domination de l’impérialisme et la tentative de créer un monde unipolaire, l’analyse et la compréhension de la lutte pour la Palestine présentées dans la Stratégie sont tout aussi pointues et pertinentes qu’elles l’étaient au moment de sa publication.

C’est cette analyse et la réalité matérielle qu’elle reflète qui ont amené dans chaque grand rassemblement anti-impérialiste dans le monde les drapeaux palestiniens et la cause palestinienne. C’est, en outre, la raison pour laquelle la « normalisation » avec Israël et l’effacement et la décentralisation de la cause palestinienne sont placés au centre de toute initiative arabe réactionnaire soutenue par l’impérialisme.

Les actions internationales du FPLP ont été conçues pour intervenir et perturber l’équilibre des pouvoirs et la force économique entre les mains des puissances impérialistes américaines, israéliennes et européennes. Malgré leur caractère dramatique, elles n’étaient pas de nature individuelle, mais exprimaient plutôt une organisation révolutionnaire collective avec un cadre et des revendications politiques et sociales clairs. Cette même organisation guidait également la lutte révolutionnaire à l’intérieur et aux frontières de la Palestine, l’organisation de masse et les mouvements politiques. Si nombre des organisations révolutionnaires qui ont été le fer de lance de cette lutte ont été soumises à une répression vicieuse et à des attaques d’État, les leçons de leur histoire et le potentiel qu’elles recèlent pour une organisation et une lutte renouvelées en France, en Belgique et ailleurs restent vitaux.

Le cas de Georges Ibrahim Abdallah en est un exemple paradigmatique. Ce combattant communiste libanais pour la Palestine est emprisonné en France depuis plus de 36 ans. Abdallah, un citoyen libanais du village de Qoubayat, est le plus ancien prisonnier politique en Europe. En tant que jeune enseignant au Liban, il s’est engagé dès son plus jeune âge dans une activité politique pour soutenir les réfugiés palestiniens et leur lutte pour la libération et le retour dans leur patrie, la Palestine. Il a rejoint le Front Populaire de Libération de la Palestine dans les camps de réfugiés au Liban et a combattu dans les rangs du FPLP contre l’invasion israélienne du Liban en 1978.

En tant que communiste et internationaliste engagé, Georges Abdallah considérait la lutte arabe de libération du sionisme et de l’impérialisme comme une partie centrale de la lutte internationale des travailleurs pour la libération du capitalisme. Il a été l’un des cofondateurs de la Faction armée révolutionnaire libanaise (FARL), formée pour lutter contre les attaques impérialistes américaines, françaises, israéliennes et autres contre le Liban. En France, ancien colonisateur du Liban, la FLA a poursuivi la lutte entamé au Liban contre l’invasion israélienne et les organisations militaires d’extrême droite soutenues par les puissances impérialistes. Les opérations du FARL visaient les responsables militaires américains et israéliens qui planifiaient et dirigeaient l’invasion et le bombardement du Liban.

En 1982, l’attaché militaire adjoint des États-Unis à l’ambassade des États-Unis en France ainsi qu’un fonctionnaire de l’ambassade israélienne ont été tués au cours d’opérations de la FARL. Georges Abdallah n’a pas été accusé d’avoir participé lui-même aux opérations ; il a finalement été reconnu coupable de « complicité ». Il a été arrêté à Lyon en 1984 par la police française, qui ne l’a accusé que d’être porteur d’un faux passeport algérien. En 1985, le gouvernement français a accepté un échange de prisonniers avec Algérie contre un diplomate français capturé. Au lieu de cela, le fonctionnaire français a été libéré – et Abdallah est resté derrière les barreaux. Son avocat travaillait en fait pour le service de renseignement français et rendait compte de ses activités aux plus hauts niveaux de l’État. Les accusations portées contre lui ont été révisées avant qu’un tribunal spécial soit ouvert à Paris en 1987 pour entendre son affaire, dans laquelle les États-Unis ont reçu un statut spécial de partie civile.

« Si le peuple ne m’a pas confié l’honneur de participer à ces actions anti-impérialistes que vous m’attribuez », a déclaré Abdallah au tribunal à l’époque, « j’ai au moins l’honneur d’en être accusé par votre tribunal et de défendre leur légitimité face à la légitimité criminelle de leurs bourreaux. » Alors que le procureur dans cette affaire recommandait une peine de 10 ans, Abdallah a été condamné à la prison à vie à la demande du représentant officiel des États-Unis au tribunal.

En vertu du droit français, Abdallah a accès à la libération conditionnelle depuis 1999, mais l’État lui a refusé celle-ci à plusieurs reprises de même qu’un renvoie dans son pays natal, où il reste une figure héroïque pour plusieurs générations de Libanais. Entre 2004 et 2020, neuf demandes de libération ont été rejetées. En 2012, sa libération et son expulsion vers le Liban ont été approuvées par le tribunal, mais elles ont été bloquées par l’action conjointe des puissances impérialistes française et américaine. La secrétaire d’État américaine Hillary Clinton a elle-même appelé le ministre français des affaires étrangères pour exiger qu’Abdallah reste derrière les barreaux, et le ministre de l’intérieur Manuel Valls a refusé de signer l’ordre d’expulsion.

Derrière les barreaux, Georges Abdallah a maintenu son engagement dans la lutte révolutionnaire et la cause palestinienne. Il fait des déclarations et des discours à l’occasion d’actions et d’événements au Liban, en Palestine, en France et dans le monde entier, qui continuent à témoigner de son profond engagement révolutionnaire dans la lutte communiste, contre l’impérialisme et pour les opprimés du monde. En fait, son refus constant de se défaire de ses convictions politiques claires est un facteur clé de son emprisonnement actuel. La France et ses partenaires, les États-Unis et Israël, cherchent à emprisonner les idées de Georges Abdallah et l’héritage des mouvements révolutionnaires qui ont balayé le continent dans les années 1970 et 1980 en le maintenant derrière les barreaux. Cependant, le mouvement pour la libération d’Abdallah continue de se développer, la manifestation annuelle pour sa libération à Lannemezan devenant chaque année de plus en plus importante.

Il continue à appliquer l’analyse de la Stratégie pour la libération de la Palestine et à exprimer son engagement dans la résistance et l’anti-impérialisme, restant un leader dans les mouvements palestinien, arabe et international même de sa prison française et refusant de troquer son engagement contre sa liberté. Il s’est joint aux multiples grèves de la faim des prisonniers politiques palestiniens dans les prisons israéliennes depuis sa prison de Lannemezan et, conformément à ses engagements internationalistes, il a rejoint les luttes des prisonniers politiques et des grévistes de la faim en Turquie, en Grèce, au Maroc et aux Philippines.

Pour les mouvements qui descendent aujourd’hui dans la rue en France et en Belgique pour lutter contre le racisme, la violence policière, l’exploitation, l’impérialisme et l’injustice sous toutes ses formes, le leadership de Georges Abdallah, l’héritage de ses camarades et l’analyse de la Stratégie pour la libération de la Palestine restent essentiels. La récupération de cet héritage dans la pratique n’est pas seulement une option, mais une nécessité, qui situe fermement la lutte palestinienne parmi les mouvements internationalistes qui ont uni les révolutionnaires d’Europe et de la région arabe dans les années 70 et 80 pour combattre le colonialisme, l’impérialisme et le capitalisme. Quelles que soient les tactiques que les révolutionnaires adoptent aujourd’hui dans leur lutte de libération, ces analyses et ces leçons sont vitales pour les combattants d’aujourd’hui qui cherchent à comprendre, à organiser, à résister et à obtenir la victoire.

Des camarades du Front Populaire de Libération de la Palestine
Mars, 2021