Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec le Collectif Palestine Vaincra réalisé par le site Chronique de Palestine  sur la situation de la répression du mouvement de solidarité avec la Palestine, mais aussi sur nos orientations et analyses. 

 

28 janvier 2022 – Le Collectif Palestine Vaincra, une organisation très active et très présente en France dans le champ de la solidarité avec la Palestine, est en butte depuis plusieurs mois aux attaques diffamatoires des organisations pro-israéliennes.
Ces attaques mensongères et malhonnêtes, qui visent à discréditer l’ensemble du mouvement de solidarité avec la Palestine, sont à présent relayées par des parlementaires et personnalités du monde politique, qui vont jusqu’à exiger la dissolution de l’organisation.
Ces menaces ne sont pas à traiter à la légère, et nous en voulons pour preuve l’actuelle procédure de dissolution administrative de Nantes révoltée où l’objectif inavoué du pouvoir en place est de laisser le champ libre à l’extrême-droite.
Chronique de Palestine a souhaité donner la parole au porte-parole de l’organisation, Tom Martin, qui a accepté de répondre à nos questions.

 

Question: Quelle est la genèse du Collectif Palestine Vaincra ? Son champ d’action, ses principales campagnes ?

 

Tom Martin : Le Collectif Palestine Vaincra a été fondé il y a trois ans, en 2019, et est le fruit d’un travail d’une dizaine d’années dans la région toulousaine, en soutien au peuple palestinien et en particulier à Georges Ibrahim Abdallah.

Notre champ d’action est le soutien au peuple palestinien et à sa résistance. Cela passe par des campagnes à la fois de sensibilisation et de formation, par exemple sur le sort réservé aux prisonnières et aux prisonniers palestiniens, la situation dans le naqab occupé, la situation liée au blocus de Gaza ou la colonisation de la Cisjordanie sous occupation, ou encore la réalité de la vie en Palestine de 48.

Mais c’est aussi un Collectif qui est tourné vers une pratique concrète et vers l’action. Nous mettons en place chaque mois des stands d’information au centre-ville et dans les quartiers populaires de la ville de Toulouse.

Nous menons des campagnes de sensibilisation et de promotion du boycott d’Israël, par exemple avec une campagne pour exiger la fin du jumelage entre Toulouse et la ville de Tel-Aviv, la capitale de l’apartheid israélien. Nous menons des campagnes d’interpellation des responsables politiques pour dénoncer leur complicité active avec la colonisation israélienne.

Bref, nous sommes un Collectif dédié à la fois à promouvoir un antisionisme radical, radicalement anticolonialiste, pour la libération de la Palestine de la mer au fleuve Jourdain, et à normaliser ces positions dans le champ politique français qui est encore malheureusement trop timide sur ces questions-là.

Nous visons en même temps à être un Collectif ancré dans une pratique auprès des gens, avec régularité et constance.

 

Q. La question des prisonniers palestiniens en Israël a de toute évidence une importance particulière pour le Collectif Palestine Vaincra… Quelles en sont les raisons ?

 

T.M : Le Collectif Palestine Vaincra est membre du réseau international Samidoun, et nous pensons effectivement que le soutien aux prisonniers palestiniens est central quand on défend la Palestine.

C’est évidemment un soutien à la défense des droits élémentaires, contre la torture, contre la détention administrative, qui sont des pratiques particulièrement barbares.

Mais notre soutien est avant tout un soutien politique à des combattantes et combattants palestiniens, car pour nous, les prisonniers politiques palestiniens incarnent la résistance palestinienne.

En réalité, leur enfermement symbolise le fait que le peuple palestinien continue inlassablement de se battre pour ses droits et son émancipation.

C’est pourquoi, à notre sens, défendre les prisonniers palestiniens, c’est défendre la résistance palestinienne, et c’est pour cela que la défense des prisonniers est pour nous une cause centrale.

 

Q. Comment analysez-vous le rôle de l’État sioniste au niveau international ?

 

T.M : Pour nous, Israël, l’État sioniste, est évidemment un État colonial, d’apartheid, raciste, mais plus précisément, c’est une colonie de peuplement occidentale dans cette région du monde.

L’État sioniste est un chien de garde des intérêts occidentaux, des intérêts impérialistes, et il est donc important d’être antisioniste car combattre l’État sioniste, c’est aussi combattre notre propre impérialisme, l’impérialisme français et ses intérêts au Moyen-Orient.

Lorsqu’on dit soutenir le peuple palestinien et sa résistance, c’est un soutien à un combat commun anti-impérialiste car la libération de la Palestine aura un effet considérable dans le monde arabe mais aussi dans les centres impérialistes, dont la France.

 

Q. Le Collectif Palestine Vaincra est depuis plusieurs mois en France l’objet d’attaques dans la presse écrite et parlé – et même de la part de parlementaires – orchestrées par des groupes de pression pro-israéliens. L’objectif affiché est d’imposer une interdiction de cette organisation. Peux-tu en quelques lignes nous résumer la nature et la provenance de ces attaques ?

 

T.M : Le Collectif Palestine Vaincra soutient la résistance palestinienne sous toutes ses formes et dans la diversité de ses orientations. Dans ce cadre nous soutenons les organisations progressistes qui font partie de cette résistance palestinienne, comme le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP).

Pour autant les accusations de lien organique avec cette organisation sont des affirmations mensongères. Rappelons qu’en Europe, des centaines d’organisations, de nombreux parlementaires européens soutiennent la résistance palestinienne, et les campagnes de dénigrement lancées par les supporters de l’apartheid israélien ne pourront nous faire taire.

Par ailleurs nous dénonçons la classification comme terroristes des principales organisations de la résistance palestinienne. Cette classification particulièrement scandaleuse vise à réduire au silence la solidarité avec le peuple palestinien et sa résistance.

Cette résistance est légitime, y compris sa composante armée, comme l’ont souligné de nombreuses résolutions des Nations Unies, selon lesquelles les peuples qui sont victimes de colonialisme ont le droit de résister pour se libérer.

 

Q. Les attaques contre le mouvement de solidarité avec la Palestine sont récurrentes un peu partout dans le monde occidental, et l’État israélien mène une politique active à cet égard, avec de gros moyens financiers. Un des exemples les plus criants est la Grande-Bretagne où la solidarité est officiellement criminalisée. Vois-tu une évolution similaire en France ?

 

T.M : On voit s’imposer une image d’Israël fortement dégradée, parce qu’il devient de plus en plus évident aux yeux du monde que cet État n’est pas un État comme les autres, qu’il s’agit d’un État qui pratique une politique d’apartheid, une politique ségrégationniste, raciste, qui opprime depuis plus de 70 ans le peuple palestinien.

Face à cela, l’extrême-droite israélienne multiplie les campagnes de dénigrement et les attaques contre les partisans de la justice en Palestine.

Il faut bien sûr rappeler les attaques contre le mouvement BDS, le mouvement pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions contre Israël, puisque ce mouvement est considéré comme une menace stratégique par les soutiens de l’apartheid israélien.

Mais c’est juste un aspect des campagnes de répression car l’on peut voir aussi les campagnes autour de l’adoption de la définition sur l’antisémitisme de l’IHRA qui assimile de manière tout à fait scandaleuse l’antisionisme – qui est un antiracisme – avec l’antisémitisme.

L’on constate aussi des attaques autour des prétendues accusations de terrorisme qui ont concerné notre réseau Samidoun, mais qui ont ciblé aussi récemment six ONG palestiniennes qui défendent les droits les plus élémentaires du peuple palestinien.

En résumé, l’ensemble de ces procédés vise à criminaliser le soutien au peuple palestinien, et nous pensons qu’il ne faut pas céder aux intimidations et poursuivre notre combat anticolonialiste.

 

Q. Un nouveau seuil aurait-il été franchi après les multiples attaques anti-BDS que nous avons connues ces dernières années et qui ont abouti à des procès à répétition ?

 

T.M : Il y a effectivement un seuil qui a été franchi avec une série d’attaques notamment judiciaires contre la campagne BDS en France, mais aussi en Allemagne, en Autriche, en Angleterre, aux États-Unis etc.

Mais l’on constate que ce mouvement pour le BDS, pour le boycott, est un mouvement qui croît, en dépit des intimidations. Nous avons assisté récemment à des réussites comme le retrait de Ben & Jerry’s des colonies israéliennes de Cisjordanie. Il reste à Ben & Jerry’s de se retirer de l’ensemble de la Palestine occupée.

On l’a vu également avec la législation allemande qui a condamnée la politique anti-palestinienne de la ville de Munich.

On l’a vu avec la relaxe d’Olivia Zemor en première instance dans son procès contre Teva, mais aussi et surtout avec le jugement de la Cour européenne des droits de l’homme en 2020 qui a condamné la France pour entrave à la liberté d’expression suite aux condamnations de militants de la campagne de boycott à Mulhouse.

On voit donc que les attaques s’intensifient, mais que la solidarité s’intensifie également, et c’est ce à quoi nous travaillons, pour faire le lien avec les diverses organisations et composantes du mouvement de solidarité avec la Palestine.

 

Q. L’accusation d’antisémitisme semble particulièrement mise en avant, et fait de façon évidente partie aujourd’hui de l’arsenal exploité contre le mouvement de solidarité avec la Palestine. Quelle est votre réponse par rapport à cela ?

 

T.M : Il y a une offensive évidente qui vise à assimiler l’antisionisme à l’antisémitisme. On le voit notamment à travers l’adoption de la définition de l’antisémitisme de l’IHRA, qui dans ses exemples assimile l’antisionisme à une forme d’antisémitisme, et cette définition a été reprise à l’assemblée nationale, au sénat, au conseil de la ville de Paris et dans la ville de Nice.

Clairement, ce qui se joue dans l’adoption de cette résolution, c’est de faire taire le soutien au peuple palestinien et les positions antisionistes.

Notre réponse par rapport à cela, c’est d’affirmer sans ambiguïté et avec fermeté que nous sommes des militants antisionistes, c’est-à-dire des militants anticolonialistes et antiracistes.

Nous affirmons haut et fort qu’Israël – une entité coloniale et raciste – est illégitime, et que la seule revendication et la seule alternative juste et durable, est une Palestine libre et démocratique de la mer au Jourdain.

 

Q. Les forces d’extrême-droite ont le vent en poupe dans de nombreux pays, et les groupes de pression pro-israéliens y sont comme des poissons dans l’eau… Dans le cas français, ce même contexte influence-t-il la campagne de dénigrement dont vous êtes l’objet ?

 

T.M : Il est de plus en plus évident qu’il existe des liens étroits entre l’extrême-droite internationale et les dirigeants de l’État israélien. Nous avons pu, par exemple, voir Netanyahu très ami avec le président brésilien Bolsonaro, avec le premier ministre hongrois Orbàn, très proche politiquement de Donald Trump etc.

En France, on constate une évolution significative des partis politiques traditionnels qui progressivement remettent en cause la position qui était jusqu’ici la position française autour de la dite solution à deux États.

L’on voit de plus en plus souvent des parlementaires, des personnalités politiques, à l’image de Manuel Valls, d’Aurore Bergé, Sylvain Maillard, Eric Ciotti… défendre la colonisation de la Palestine, de la mer au fleuve Jourdain, défendre une criminalisation accrue du soutien au peuple palestinien, défendre un alignement stratégique de l’État français avec l’extrême-droite israélienne.

Cet alignement politique et idéologique renforce les campagnes de dénigrement à notre encontre, mais plus généralement, ce qui se joue ici, c’est la défense des libertés démocratiques et la défense également de l’expression de voix anticolonialistes et antiracistes en France.

 

Q. Une interdiction du Collectif Palestine Vaincra serait extrêmement grave pour l’ensemble du mouvement de solidarité, car elle ouvrirait la voie à une agression à plus grande échelle. Quelles sont les premières réactions autour de vous et quelle serait la conduite à tenir pour l’ensemble du mouvement de solidarité avec la Palestine ?

 

T.M : Après les premières annonces de demandes de dissolution à notre encontre, nous avons eu un très large mouvement de solidarité qui s’est exprimé à travers de très nombreuses organisations de soutien à la Palestine, comme le Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, qui regroupe de grands partis politiques et syndicats français et les grandes organisations de soutien à la Palestine.

Cette demande de dissolution a été très largement condamnée au niveau international. Il y a donc eu une prise de conscience.

Néanmoins, nous tenons à rappeler que ce qui se joue à travers cette tentative de criminalisation du Collectif Palestine Vaincra, c’est la volonté de criminaliser le soutien à la Palestine en général.

A travers les attaques contre nous, c’est l’ensemble du mouvement de solidarité avec la Palestine qui est attaqué, c’est l’ensemble du mouvement anticolonialiste et antiraciste qui est visé.

Au même titre que nous devons faire bloc quand BDS Montpellier est attaqué par la préfecture et la mairie de cette même ville qui veulent censurer ses activités, ou quand Olivia Zemor passe en procès face à Teva alors que l’appel au boycott d’Israël est non seulement légitime mais aussi légal… nous devons aujourd’hui faire bloc contre cette campagne de dénigrement qui vise à faire taire une voix anticolonialiste et antiraciste.

 

29 janvier 2022 – Propos recueillis par Claude Zurbach, pour Chronique de Palestine

 

Source : Chronique de Palestine