La Nakba (catastrophe) constitue un tournant dans l’histoire du peuple palestinien, dans le cadre d’un processus que le mouvement sioniste développe depuis la fin du XIXe siècle. Un processus de pillage et d’appropriation d’un territoire qui ne leur appartenait pas et qui, en mai 1948, avec la complicité des États impérialistes de l’époque, principalement la Grande-Bretagne, a conduit à la création de l’État d’Israël. Il n’en est cependant pas arrivé là sans une longue résistance des communautés palestiniennes qui ont vu l’avancée colonialiste sioniste et se sont battues sur différents fronts et avec les possibilités que le moment leur permettait. La Nakba est un processus permanent, un présent continu qui vise le nettoyage ethnique du peuple palestinien et qui s’exprime par des politiques de ségrégation, d’apartheid, de racisme, de sexisme, de violence inhabituelle à l’encontre de la population d’origine dans les territoires que le colonisateur occupe.

Contra Hegemonia Web a réalisé une interview avec Jaldía Abubakra, militante palestinienne de la diaspora, fondatrice du mouvement des femmes palestiniennes Alkarama et membre de Masar Badil et du réseau international Samidoun.

 

CH : Qu’est-ce que la Nakba pour vous ?

 

Jaldía Abubakra : Pour moi comme pour la quasi-totalité du peuple palestinien, la Nakba est un moment clé de nos vies, elle nous traverse, elle conditionne nos vies. Je suis né dans la bande de Gaza en tant que réfugié, dans un camp de réfugiés parce que mes parents ont été déplacés en 1948, donc chaque jour de notre vie est une nakba. La nakba n’est pas un moment, ce n’est pas une date, ce n’est pas, comme beaucoup le pensent, l’exode, l’expulsion des Palestiniens de notre territoire. La nakba est la perte de tout pour le peuple palestinien. La nakba est la fondation de l’État sioniste d’Israël sur notre terre, sur notre patrie. Les Palestiniens luttaient déjà depuis de nombreuses années contre l’occupation britannique, contre l’immigration juive sioniste en Palestine, les privilèges dont ils bénéficiaient et le projet de création d’un État sioniste en Palestine. Le peuple commençait déjà lentement à savoir et à lutter contre cela et il y avait eu des massacres auparavant, des massacres qui se sont produits avant 48, mais à cette époque le peuple avait encore de l’espoir. Il se battait, il pensait qu’il gagnerait, que les pays arabes l’aideraient, qu’il serait capable de surmonter cette attaque sioniste et qu’il retrouverait sa dignité, sa liberté et son indépendance. Mais ils ont aussi vu que les Britanniques aidaient les sionistes. Quand un État est fondé sur notre patrie, pour le peuple palestinien, c’est une nakba. Le mot nakba est difficile à traduire dans une autre langue, c’est la perte, la défaite, la catastrophe, c’est comme si c’était fait, ils ont créé un état dans notre patrie et maintenant quoi ? Maintenant la Palestine ne s’appelle plus Palestine, maintenant la Palestine n’est plus pour les Palestiniens et jusqu’à ce que la Palestine soit à nouveau libre du fleuve à la mer pour tous les Palestiniens, la nakba ne prendra pas fin. La nakba, c’est chaque jour, c’est chaque acte, c’est le fait que nous sommes loin de notre patrie et que nous ne pouvons même pas y retourner pour la visiter, que notre peuple en Palestine souffre de tous ces crimes qui se produisent. La nakba est continue, elle est quotidienne et elle prendra fin lorsque nous récupérerons la Palestine, lorsque la Palestine sera libre et alors la nakba ne sera plus qu’un mauvais souvenir. Je crois que nous sommes sur la bonne voie, que nous nous rapprochons et que nous n’abandonnerons jamais jusqu’à ce que nous y parvenions, jusqu’à ce que nous mettions fin à la nakba. Car la nakba c’est l’occupation, la colonisation de notre terre, l’établissement d’un État artificiel sur notre terre.

 

CH : Comment voyez-vous la situation du peuple palestinien aujourd’hui, 74 ans après la Nakba ?

 

Jaldía Abubakra : La situation du peuple palestinien a évolué au fil des ans. Il y a eu des moments de forte résistance, de confiance, d’unité, de lutte dans lesquels le peuple était uni, il était déterminé et même s’il n’a pas gagné la guerre ou réussi à libérer le territoire, mais il avait construit quelque chose dans les années 70. Quand la résistance palestinienne s’est construite, la lutte, la Charte nationale palestinienne, quand nous avons commencé à bien nous organiser, c’était un bon moment. Puis sont venus d’autres moments de défaite. Après une défaite, il y a un déclin, une déception, un désespoir et la situation précédente se calme. Ensuite, il y a eu un autre soulèvement du peuple, les intifadas, les marches du retour, les marches du vendredi et le moment actuel, que je pense être en train de monter, la volonté du peuple de se battre est en train de monter. Malgré tout ce que nous voyons, malgré toute la souffrance, malgré toutes les barbaries qui sont perpétrées quotidiennement contre notre peuple, le peuple palestinien est à un moment où il est déterminé à se battre à nouveau, à élever le niveau de la lutte. La résistance dans la bande de Gaza se prépare et a amélioré ses capacités, c’est une bonne chose. Dans les territoires de 1948, en Cisjordanie, à Jérusalem, à Gaza, dans la diaspora, nous nous sentons déjà comme un peuple unifié et unique, avec une seule cause et avec une seule patrie et une seule terre. Depuis le début, l’ennemi essaie de nous diviser, non seulement géographiquement pour nous séparer les uns des autres, mais aussi en créant un problème différent pour chaque région, afin que chaque petit bout de terre soit occupé à penser à résoudre ses problèmes. La bande de Gaza avec le blocus, la Cisjordanie avec la crise économique, les points de contrôle, les sorties, les entrées, les achats. Les habitants de 1948 souffrent également avec le système d’apartheid. A Jérusalem avec la question de la résidence, les allées et venues, le fait que s’ils quittent Jérusalem, ils perdent leur résidence. Ils ont essayé de créer tous ces problèmes soi-disant séparés pour que nous ne pensions pas à la libération de la Palestine, à la libération totale de la Palestine. Depuis le soulèvement de mai de l’année dernière, l’intifada de l’unité, le peuple a surpris l’ennemi, surtout notre peuple dans les territoires occupés en 1948. Ils essayaient de les aliéner, ils pensaient qu’ils avaient déjà oublié leur identité palestinienne et ils ont vu que non. La troisième génération qui est née sous le régime israélien se sent toujours palestinienne et est toujours en contact, en communication et en phase avec le reste des territoires palestiniens et avec les Palestiniens de la diaspora et c’est quelque chose qui blesse et inquiète l’ennemi. Mais pour nous c’est une très bonne chose, nous sommes sur le bon chemin.

 

CH : Quelles sont, selon vous, les perspectives d’avenir ?

 

Jaldía Abubakra : Je pense qu’il y a des perspectives d’avenir, surtout personnellement j’ai beaucoup d’espoir dans le nouveau mouvement Masar Badil, je pense que nous avions besoin d’un mouvement comme celui-ci. En voyant tout ce cheminement de négociations, de normalisation, de capitulation qui s’était produit, les gens étaient un peu perdus, à la recherche de quelque chose, et je pense qu’avec Masar Badil, nous l’avons trouvé. Nous unissons le peuple palestinien du monde entier, avec le peuple palestinien à l’intérieur, avec les camps de réfugiés pour unifier nos forces et lutter ensemble, mais surtout nous voyons clairement que l’ennemi n’est pas seulement l’ennemi sioniste, l’occupation, mais les traîtres qui travaillent aux ordres de l’occupation. Nous le voyons depuis longtemps, mais nous avions peur de le dire, de dire que les Palestiniens eux-mêmes nous trahissent, qu’ils trahissent leur peuple, mais finalement nous avons dû le dire, parce que combien de temps allons-nous taire cela, combien de temps allons-nous supporter la répression continue de ces gens ? Je veux dire l’Autorité palestinienne, l’autorité d’Oslo, qui continue à réprimer notre peuple, nos jeunes. Nous l’avons déjà dit, mais pour le reste de la population, le meurtre de Nizar Banat et la répression des manifestations dans les rues de Cisjordanie les ont déjà complètement démasqués. Je pense que nous sommes sur la bonne voie, en dehors de ce que j’ai dit précédemment sur l’Intifada de l’unité et l’unité de tout le peuple palestinien partout, je pense que les perspectives d’avenir sont bonnes. Nous allons continuer sur ce chemin, sur cette route, nous allons continuer à grandir, à unir notre peuple, à unir nos efforts, à créer un réseau de Palestiniens dans le monde et avec la Palestine, mais aussi y associer des gens solidaires, des gens internationalistes, des gens qui sont nos camarades de lutte. Mettre tous ces mouvements et ces personnes en contact les uns avec les autres va changer l’équilibre, changer le mode de lutte et nous donner de la force et beaucoup d’énergie pour aller de l’avant.

 

CH : Comment se déroulent les luttes des femmes palestiniennes et comment Alkarama y participe-t-elle ? Comment articulez-vous la lutte spécifique des femmes avec la lutte pour la libération nationale ?

 

Jaldía Abubakra : La lutte des femmes palestiniennes a toujours été à l’avant-garde, surtout au début de la révolution palestinienne dès les années 1920. Dans la révolution de 1936, les femmes ont joué un rôle fondamental et important et ont été à l’avant-garde de la lutte pour la libération nationale. Elles étaient organisées et ont participé à toutes les formes de lutte : sociales, politiques, armées, manifestations, etc. Comme dans toute chose, il y a aussi des moments où le mouvement et la lutte déclinent, surtout après Oslo. Les femmes ont participé à l’Intifada des Pierres en 87 et elles ont joué un rôle fondamental dans la lutte et la résistance. Mais après les accords d’Oslo, les femmes ont été un peu mises de côté, elles ont été reléguées au rôle des ONG, du travail social. Pensant que ces accords et négociations allaient apporter la paix, beaucoup de gens étaient confus et se sont démobilisés. Ce qui a fait que la lutte s’est relâchée mais la période a changé. Les femmes n’ont jamais cessé de se battre. Alkarama fait partie de cette lutte dans la diaspora, je pense que nous sommes le premier mouvement politique de femmes. Je n’en avais pas rencontré d’autre et c’est pourquoi nous avons vu la nécessité de créer un mouvement politique de femmes. Avec Alkarama, nous travaillons tout d’abord à faire connaître la lutte des femmes palestiniennes et la réalité actuelle dans laquelle elles vivent. Mais aussi créer un espace pour nous, pour parler en notre nom, afin qu’ils ne parlent pas pour nous, afin qu’ils ne kidnappent pas notre voix. Nous avons d’abord essayé d’entrer en contact avec plusieurs femmes d’origine palestinienne en Espagne, puis le mouvement s’est étendu à d’autres endroits. Nous essayons d’être en contact avec les femmes en Palestine et dans les camps de réfugiés et travailler ensemble. Faire connaître l’histoire des femmes palestiniennes, non seulement la lutte historique mais aussi la réalité actuelle, de nous soutenir mutuellement. Je pense que c’est le rôle que nous attendons d’Alkarama : unir les femmes palestiniennes partout dans le monde, avoir notre propre voix, nous permettre d’être un pont pour faire entendre notre voix en Palestine. La langue espagnole que nous parlons est un outil parce qu’en Palestine ils diffusent tout ce qu’ils font en arabe et il y a aussi beaucoup de personnes qui parlent anglais, mais en espagnol il n’y a pas beaucoup de personnes qui transmettent, qui parlent, qui expliquent, qui font parvenir la voix des femmes en espagnol, surtout les femmes en Palestine. Je pense qu’Alkarama joue un rôle important dans ce sens.

 

CH : Quelles actions et/ou campagnes sont entreprises par BDS ? Le ministre de l’intérieur argentin vient de se rendre en Israël pour signer des accords. Quel message donneriez-vous au peuple argentin à cet égard ?

 

Jaldía Abubakra : En ce qui concerne le boycott, c’est un outil qui a été utilisé par le peuple palestinien depuis les années 1930, dans la révolution de 36. En particulier, c’était une idée des femmes de boycotter les produits de l’ennemi et de créer des produits alternatifs locaux. Ensuite, il a également été utilisé en 1987 lors de l’Intifada des pierres, puis en 2002, lorsque la première campagne de boycott de ceux qui soutiennent l’État d’Israël a vu le jour, à savoir la campagne libanaise. Ensuite la campagne dans d’autres pays. Puis en 2005 est apparue la célèbre campagne BDS qui est un outil très utile, intéressant, facile et accessible à tous. Elle est allée assez loin, c’est un outil utilisé par tous les mouvements qui soutiennent la lutte palestinienne depuis l’étranger parce que c’est ce qui peut être fait depuis l’extérieur et cela peut être très efficace.

Le ministère de l’intérieur de l’Argentine n’est pas le seul, tous les gouvernements malheureusement laquais y vont parce qu’ils se laissent prendre au mensonge que c’est un État normal, que c’est un État qui peut leur être bénéfique dans leurs relations avec eux. Nous ne nous attendions pas à cela de la part du nouveau gouvernement argentin, mais bon, nous ne nous attendions pas non plus à grandes choses. Nous faisons davantage appel aux peuples qu’aux gouvernements, car après tout, les gouvernements sont dominés par le capital, et dans certains pays, même s’ils se disent socialistes, le capitalisme domine toujours et s’étend à la plupart des pays du monde. Nous faisons donc davantage appel au peuple, à la société civile, pour exiger qu’ils se conforment aux valeurs qu’ils prétendent respecter et que le peuple puisse influencer les décisions d’un gouvernement et exiger qu’il n’entretienne pas de relations avec un État criminel qui viole les droits de l’homme. Quand nous gardons le silence et que nous permettons à l’entité sioniste Israël de commettre ces crimes graves, nous ne pouvons pas nous plaindre ou être surpris quand des gouvernements le font ailleurs. Parce que cela créé un précédent, cela devient quelque chose de normal pour un gouvernement de faire cela aux peuples. C’est pourquoi nous devons être très attentifs, dans toutes les parties du monde, dans tous les peuples du monde, à ne pas laisser perdurer les relations avec un État génocidaire tel que l’entité sioniste appelée Israël.

 

Source : Contra Hegemonia Web – Traduction : Collectif Palestine Vaincra