La semaine dernière, de nombreuses villes du monde entier ont marqué le 50e anniversaire de l’assassinat de la légende palestinienne Ghassan Kanafani. A Vancouver au Canada, des groupes palestiniens ont organisé de multiples actions pour l’occasion, des collages dans les rues jusqu’à une journée entière d’ateliers et de films, pour culminer par une soirée de discours et de présentations culturelles internationalistes.

L’héritage et l’esprit révolutionnaire de Kanafani ont ravivé de nombreux souvenirs pour ceux d’entre nous qui étaient à Beyrouth au début des années 1970. C’était une époque d’innovation et de force politique et culturelle, et l’idée d’un compromis politique sur les principes fondamentaux de la nation palestinienne était impensable.

Comment sommes-nous passés de la force des camps de réfugiés de Beyrouth à la posture lâche de l’Autorité palestinienne basée à Ramallah ? Le mouvement palestinien est aujourd’hui aux prises avec ces questions, car de plus en plus de militants de la jeune génération ne veulent pas accepter la notion discréditée de « libération progressive ». Ces questions doivent être résolues par les Palestiniens eux-mêmes alors qu’ils font le bilan des erreurs du passé, mais une chose est claire : la solution à deux États, ou « le mini-État » comme on l’appelait à l’origine, est morte.

Le message de Ghassan Kanafani, et de nombreux autres membres du mouvement palestinien de l’époque, était un message de clarté. Il s’attaquait à la fois au colonialisme sioniste et à l’impérialisme, ainsi qu’aux régimes arabes complices. Si nous voulons sincèrement honorer l’héritage de Kanafani, nous devons examiner comment ce message doit être traduit dans notre travail aujourd’hui.

La fresque murale qui a été érigée à Vancouver en l’honneur de Kanafani portait également le message désormais populaire suivant : « From the river to the sea, Palestine will be free » (« Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre »). La fresque a réussi à rester en place pendant 48 heures dans une rue très fréquentée de Vancouver – un exploit en soi – tandis que les messages Twitter soulignant l’œuvre d’art ont été largement partagés.

Le slogan de la fresque illustre l’idée d’une libération totale de l’hégémonie israélo-américaine et promeut le concept d’un État démocratique et laïc en Palestine, qui était aussi la pierre angulaire du mouvement de résistance palestinien à ses débuts.

Toutefois, en 1974 à la suite de la guerre d’octobre 1973, le Programme en dix points de l’OLP a codifié pour la première fois l’idée d’une libération « par étapes », ou « libération progressive ». Le document adopté par la 12e session du Conseil national palestinien (CNP) appelait à la création d’une « autorité nationale indépendante pour le peuple sur chaque partie du territoire palestinien libéré », mais il présentait cela comme une « étape vers la libération » provisoire qui ne compromettrait aucun droit national palestinien. Néanmoins, la porte a été ouverte, la poussée des « initiatives diplomatiques » sans fin a commencé, et la boucle a été bouclée avec les accords d’Oslo.

La politique israélienne d’assassinat (ou d’emprisonnement) des principaux dirigeants et penseurs palestiniens visait à affaiblir la trajectoire révolutionnaire de la lutte palestinienne. Ainsi, lorsque les accords d’Oslo ont finalement été signés, il restait moins de voix pour mettre en garde contre les dangers évidents de cette « conversation entre l’épée et le cou ».

La question de savoir si les accords d’Oslo auraient pu réussir dans n’importe quelle circonstance est maintenant un point discutable, car le résultat a indéniablement été une plus grande dépossession pour les Palestiniens, plus de vols de terres, et plus de morts. Alors qu’aucun véritable État n’est en vue depuis près de 30 ans, toute nouvelle concession à la solution à deux États est un mauvais service rendu à la cause palestinienne et une invitation à un nouveau démembrement.

De nombreux groupes de défense des droits de l’homme ont reconnu qu’il n’existe actuellement qu’un seul État entre le fleuve et la mer, et que cet État est un cauchemar d’apartheid, de colonisation et de militarisme pour les Palestiniens autochtones. Le discours sur les « deux États » est maintenant surtout le domaine des politiciens opportunistes, en particulier des gouvernements occidentaux, qui aiment tweeter des photos d’eux-mêmes avec des Palestiniens déplacés ou souffrant en Cisjordanie occupée pour montrer leur préoccupation, tout en claironnant leur soutien à la solution des deux États.

Si nous voulons honorer le message que Kanafani a fait passer sans hésitation, nous devons également faire preuve de clarté et d’audace dans notre travail de solidarité. Les Palestiniens ont fait preuve d’une patience excessive en épuisant toutes les promesses de cet État palestinien « fantôme » et en laissant le brouillard d’Oslo dominer le discours.

Rares sont ceux qui contestent qu’Oslo est mort. Beaucoup soutiendraient qu’il s’agissait d’une ruse depuis le début pour coopter le mouvement palestinien. Une nouvelle génération de militants embrasse un retour aux principes fondamentaux de la libération palestinienne. Tout cela pour dire que, oui, « de la mer au Jourdain, la Palestine sera libre » n’est pas seulement une stratégie viable, mais la seule stratégie possible pour l’avenir. La Palestine doit être libre : de l’apartheid, de la brutalité et de l’humiliation d’un régime de colonisation de peuplement qui n’a pas de comptes à rendre, et des cruels desseins de l’impérialisme américain dans la région. Ce n’est ni anti-juif, ni anti-paix – c’est pro-justice pour un peuple qui a déjà fait les frais de l’impunité israélienne pendant bien trop longtemps.

 

Article de Marion Kawas, publié initialement le 13 juillet 2022. Militante pro-palestinienne de longue date, elle est membre de BDS Vancouver-Coast Salish et coanimatrice de Voice of Palestine.

 

Source : Mondoweiss – Traduction : Collectif Palestine Vaincra