Co-signé par 38 puis 35 députés de l’ensemble des composantes de la NUPES (PCF, PS, LFI et EELV), le député communiste Jean-Paul Lecoq a rédigé une résolution « condamnant l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien ». Suite à la publication de ce texte, celui-ci a provoqué un tollé de la part des partisans de l’apartheid israélien mais aussi un réel enthousiasme pour les défenseurs de la cause palestinienne. Alors même que celle-ci ne pourra jamais avoir la majorité parlementaire, qu’en est-il vraiment ?
 

La lutte contre l’apartheid israélien

 
L’essentiel du document porte sur la reconnaissance par la France de l’apartheid israélien à la suite d’innombrables rapports d’insitutions et d’ONG internationales, à l’image du rapport d’Amnesty International de février 2022.

Alors que le document commence par une citation de Nelson Mandela – « Notre liberté est incomplète sans celle des Palestiniens » – il est important aujourd’hui de tirer un bilan de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs tactiques et/ou stratégiques. En effet, l’apartheid sud-africain n’a pas été démantelé par le jeu diplomatique ni seulement par les campagnes de boycott ou la mobilisation populaire ou la lutte armée mais bien l’alliance de ces trois outils anticolonialistes. Par ailleurs, l’apartheid a pris fin en 1992 mais n’a pas été synonyme d’émancipation sociale pour la population Noire du pays. Par exemple, l’écart moyen entre le chômage des Noirs et celui des Blancs en Afrique du Sud est de 32,5 points et ce n’est qu’un exemple parmi les inégalités systémiques toujours à l’oeuvre.

C’est pourquoi c’est positif que la notion d’apartheid en Palestine occupée s’impose dans le champ politique mais cette reconnaissance comporte d’importantes limites devenant l’arbre qui cache la forêt. Comme le souligne la chercheuse Lana Tatour, « on ne peut comprendre la Palestine en faisant uniquement référence à l’apartheid, puisque cela n’offre qu’une compréhension limitée et partielle de la situation. Israël est un État colonial de peuplement qui pratique à la fois l’apartheid et l’occupation permanente. » Elle poursuit en rappelant « l’utilisation de l’apartheid comme cadre isolé est en phase avec les tentatives de plus en plus nombreuses en vue de limiter la compréhension de la question de la Palestine à des catégories juridiques rigides. Le droit international est important et il devrait être exploité à notre avantage. Mais il serait dangereux de laisser le droit international guider tout seul notre compréhension de la réalité en Palestine ou de la nature de nos revendications politiques. La question de la Palestine est une question politique, et pas simplement une question juridique. » Ainsi, la fin de l’oppression du peuple palestinien et la libération de la Palestine ne consiste pas en une « démocratisation d’Israël » ou seulement à une égalité juridique mais bien au démantèlement du projet sioniste de fond en comble et l’instauration d’une Palestine libre et démocratique de la mer au Jourdain où chacun pourra vivre à égalité des droits et où le peuple palestinien exercera son droit à l’autodétermination et à la souveraineté.

 

La reconnaissance de l’Etat de Palestine

 

Différentes composantes du mouvement de solidarité avec la Palestine, ainsi que plusieurs forces de gauche, revendiquent la reconnaissance de l’Etat de Palestine par la France comme de multiples instances internationales. A première vue, cela peut sembler une excellente chose mais c’est typiquement une fausse bonne idée. Le document précise « que la solution de deux États suppose la reconnaissance de l’État de Palestine aux côtés de celui d’Israël et invite, par conséquent, le Gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine en vue d’obtenir un règlement définitif du conflit ». Il est dommage que la gauche parlementaire française n’arrive pas à se sortir du paradigme de la « solution à deux Etats » qui est un échec depuis 30 ans. Cette stratégie est celle portée par la direction de l’OLP depuis le Programme en dix points de 1974 qui défend une libération « par étapes » ou « libération progressive ». Mais il est clair que le projet « d’Etat palestinien » est bien pire en cherchant à mettre l’étiquette « d’Etat » à une entité totalement dépendante de l’occupation et du soutien financier des puissances occidentales. Près de 50 ans après, le bilan de cette stratégie est sans appel : le peuple palestinien vit dans une situation catastrophique et la colonisation n’a jamais autant été avancée. Si aujourd’hui la Palestine n’est pas rayée de la carte et oubliée ce n’est certainement pas grâce au « processus de paix » mais bien grâce à l’inexorable résistance du peuple palestinien qui met en échec la politique de sociocide à l’oeuvre depuis plus de 70 ans.

Par ailleurs, cette proposition politique est profondément injuste d’un point de vue anticolonialiste. Elle enterine le vol de la majorité des terres palestiniennes, sanctionne la partition de Jérusalem, légitimise Israël en tant que colonisation de peuplement instauré par le nettoyage ethnique, etc. Revendiquer la reconnaissance de l’Etat de Palestine c’est vouloir reconnaître cette injustice.

Pour notre part, nous considérons que les puissances impérialistes, comme la France, font partie du problème et pas de la solution. La lutte pour une Palestine libre et démocratique de la mer au Jourdain est d’abord entre les mains du peuple palestinien et de ses capacités à résister et à s’organiser. Dans cette tâche, il doit pouvoir compter sur la solidarité internationale des peuples, certainement pas des Etats et instances internationales qui ont toujours joué un rôle actif dans leur oppression. C’est le projet porté par d’innombrables organisations palestiniennes, en Palestine comme dans la diaspora, à l’image de Masar Badil que nous soutenons et auquel nous participons.

 

La solidarité avec les prisonniers palestiniens, dont Salah Hamouri

 

Dans la résolution, un point spécifique est fait sur la situation des prisonniers politiques palestiniens. Le document souligne : « Les arrestations arbitraires et les détentions administratives de Palestiniens (y compris de nombreux enfants) soumis à des procès non équitables et aux actes de violence à l’égard des détenus, mais aussi au transfert de détenus palestiniens dans des prisons israéliennes constituent des atteintes au droit humanitaire international et aux droits de l’homme. À cet égard, la détention arbitraire de l’avocat et défenseur des droits de l’homme franco‑palestinien, Salah Hamouri, par les forces d’occupation israéliennes illustre parfaitement le fonctionnement du régime d’apartheid israélien. »
Cette position de principe est très positive, en particulier au sujet de Salah Hamouri dont son maintien en détention est rendu possible par la complicité du gouvernement français qui n’a pas eu un seul mot à ce sujet durant la rencontre de Macron avec le nouveau premier ministre israélien Yaïr Lapid.

https://twitter.com/ElsaLefort/status/1550406864587866114

On peut seulement regretter que le document ne mentionne pas le sort réservé à Georges Abdallah tant il est le symbole de la complicité de la France avec l’occupation israélienne. Mais nous n’avons pas de doute sur le fait que cette cause va se développer dans les mois à venir, y compris sur les bancs de l’Assemblée Nationale, au regard des nombreuses prises de positions en faveur de sa libération de la part de la majorité des composantes de la NUPES (comme ici ou ici).
 

La défense du droit au boycott d’Israël et la lutte contre la criminalisation de la solidarité avec la Palestine

 
Un élément positif de ce texte est la défense du droit au boycott des produits israéliens. En effet, cet outil de mobilisation profondément antiraciste est la cible d’une campagne qui vise à le criminaliser de la part du gouvernement français et des supporters de l’occupation israélienne. Pour autant, le boycott est bel et bien légal en France et cela a même été réaffirmé par une récente décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui a condamné la France en juin 2020 pour entrave à la liberté d’expression suite à sa condamnation de militants qui appelaient au boycott des produits israéliens. Pour autant, la résolution critique l’entêtement du gouvernement français qui n’a pas abrogé ses circulaires qui incitent à des poursuites et c’est une bonne chose ! Les circulaires Alliot-Marie et Dupond-Moretti doivent être abrogées sans délai.

A la suite, le document souligne que « le Gouvernement a de nouveau porté atteinte à la liberté d’expression en prononçant, le 9 mars 2022, sur le fondement de l’article L. 212‑1 du code de la sécurité intérieure (CSI), la dissolution du Comité Action Palestine et du Collectif Palestine Vaincra » tout en soulignant que le Conseil d’Etat a suspendu cette décision le 29 avril dernier. C’est extrêmement important que ces dissolutions soient dénoncées par un large champ politique en rappelant ce qu’elles sont : des atteintes à la liberté d’expression.
 

Face aux calomnies, faisons front

 
En dépit des désaccords, nous devons faire bloc contre les attaques des partisans du colonialisme et de l’apartheid israéliens contre ce projet de résolution. C’est déjà significatif qu’une partie de la gauche parlementaire brise l’omerta sur la question palestinienne, y compris dans les plus hautes sphères de l’Etat français. Déjà durant les élections législatives, la plupart des candidats de la NUPES de Haute-Garonne avaient pris des positions courageuses suite à notre interpellation au sujet du boycott d’Israël et de la solidarité avec la Palestine.

Parmi les détracteurs du document, on retrouve sans surprise Jérôme Guedj du Parti Socialiste. De manière parfaitement malhonnête, il dénonce ce texte qui « transpire la détestation d’Israël » et refuse de parler « d’apartheid » et de « boycott ». Pourquoi ? Parce qu’il défend « le droit à l’existence et à la sécurité d’Israël », en d’autres termes le droit d’opprimer le peuple palestinien tranquillement et sans conséquences.

Après, le gros de la polémique vient des traditionnels chiens de garde de l’occupation israélienne : du CRIF en passant par le Printemps Républicain et l’extrême droite pro-israélienne. Une telle attaque a lieu car ils se rendent bien compte qu’ils perdent progressivement du terrain. Ils ont beau faire voter des textes amalgamant l’antisionisme à de l’antisémitisme, comme la résolution Maillard, la solidarité avec le peuple palestinien progresse. Elle progresse en France mais aussi dans le monde entier, à l’image des campagnes de boycott dans les universités nord-américaines ou la récente Intifada de l’Unité en mai 2021.

En dépit d’importantes limites, cette résolution aura au moins eu le mérite de briser l’omerta au sein du parlement français sur la situation en Palestine occupée. Mais n’ayons aucune illusion sur ce type d’initiatives, aucun changement signficatif pour le peuple palestinien ne viendra des parlements des puissances occidentales ou de l’Assemblée Générale de l’ONU. Pour notre part, nous appelons à développer un large mouvement de solidarité internationale qui mette au centre de son engagement le soutien à la résistance palestinienne et à son droit légitime à une Palestine libre et démocratique de la mer au Jourdain.