Samedi 9 juillet, War-Sav (Pour l’Organisation de la Gauche Indépendantiste) organisait une journée de solidarité anti-impérialiste à Plougonver en Bretagne réunissant au total une cinquataine de personnes. Afin de débattre et d’échanger sur les différentes mobilisations en cours, différents ateliers étaient organisés autour du thème « Où est passée la lutte anti-impérialiste ? » (voir le programme complet ici).  Par ailleurs, un concert eu lieu en fin de journée et les participants ont pu profiter de plusieurs tables de presse, notamment celle des éditions Premiers Matins de Novembre. La veille, le film « Fedayin, le combat de Georges Abdallah » était projeté devant un public attentif et désireux de découvrir les enjeux derrière le maintien en détention de celui qui est devenu le plus ancien prisonnier politique d’Europe. Comme le souligne l’équipe du documentaire, « la soirée s’est poursuivie autour d’un échange avec un membre du Collectif Vacarme(s) Films et Jean-Marc Rouillan, ancien prisonnier politique, sur les conditions du procès de Georges Abdallah, l’importance de soutenir la résistance palestinienne ou encore le rôle de la bourgeoisie nationale arabe dans la situation régionale. »

Le Collectif Palestine Vaincra était invité à animer un atelier intitulé « Actualité et criminalisation de la solidarité internationaliste avec la Palestine occupée ». Nous retranscrivons ci-dessous notre intervention :

 

Aux origines de la répression

 

Il est avant tout intéressant de comprendre dans quel contexte la répression du mouvement de solidarité avec la Palestine s’inscrit en France pour ensuite aborder plus spécifiquement le cas du Collectif Palestine Vaincra à Toulouse. Enfin, nous mettrons en relation cette répression de l’Etat français avec le rôle que joue Israël pour les puissances impérialistes, dont l’impérialisme français.

 

La France, soutien historique de la colonisation sioniste

Depuis plus de 200 ans, forte de son étiquette de « pays des droits de l’Homme » et de sa devise « liberté – égalité – fraternité », la France utilise son prétendu universalisme républicain pour étendre sa domination dans le monde. C’est sur ces bases qu’elle a construit son empire colonial dans le passé et qu’elle est devenue une des principales puissances impérialistes dans le monde. C’est donc tout naturellement, que la France a toujours soutenu la colonisation sioniste de la Palestine, étant donné les enjeux et intérêts stratégiques que représente cette région du monde.

Faisons un bref rappel historique :

  • En 1916, la France s’accapare la moitié de la région qu’elle partage avec les Britanniques via les accords Sykes-Picot
  • En 1947, la France vote le plan de partage à l’ONU, légitimant ainsi la Nakba de 1948 : le nettoyage ethnique du peuple palestinien entamé dès 1947.
  • Dans les années 1960, la France fournit le nucléaire à l’État sioniste.
  • Aujourd’hui, la France développe des accords importants (notamment commerciaux à travers les accords EUROMED) tout en faisant la promotion du « processus de paix », de « la solution à deux États » et autres outils servant en définitif à protéger les intérêts et l’existence de l’Etat sioniste.

Réprimer le mouvement de solidarité avec la Palestine

Cette position se traduit par une véritable politique de criminalisation du mouvement de solidarité avec la Palestine. Évidemment le plus symbolique est le sort réservé à Georges Abdallah, communiste libanais et combattant de la résistance palestinienne qui est emprisonné en France depuis 1984. Devenu le plus ancien prisonnier politique d’Europe, Georges Abdallah est maintenu en prison parce qu’il est devenu un symbole de la résistance palestinienne et une menace pour les intérêts stratégiques de l’impérialisme français au Liban et plus largement, dans la région, comme le souligne un rapport des services de renseignements français en 2007. Georges Abdallah a passé plus de 37 ans derrière les barreaux alors qu’il est libérable depuis 1999.

Un autre pilier de cette politique de répression est la tentative de criminalisation du boycott d’Israël. En particulier depuis l’appel de la société civile palestinienne pour le BDS – Boycott Désinvestissement Sanctions en 2005, les différents gouvernements français (de droite comme de gauche) n’ont eu de cesse de tenter de criminaliser cet outil de mobilisation antiraciste et anticolonialiste. Différentes circulaires (comme celles des ministres de la justice Alliot-Marie en 2010 ou Dupont-Moretti en 2021) ont incité à des poursuites contre les militants qui appelaient au boycott des produits israéliens. Pour autant, aucune loi en France n’interdit actuellement le boycott d’Israël mais le lobby pro-israélien pratique une guérilla juridique basée sur de la propagande mensongère afin de combattre cette campagne. Des militants de nombreuses associations ont été régulièrement poursuivis : à Bordeaux, à Montpellier, à Toulouse, en Région Parisienne, à Lyon, etc.
En juin 2020, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné la France pour « entrave à la liberté d’expression » après la condamnation par la justice de militants appelant au boycott des produits israéliens. Cela démontre que cette politique de criminalisation est loin de faire consensus, y compris auprès des plus hautes instances européennes. Mais indépendamment du caractère légal ou non, nous affirmons que le boycott d’Israël est légitime et qu’il doit être soutenu ! Un boycott complet, de tous les sponsors de la colonisation sioniste !

Un autre outil important de la politique française de soutien à l’occupation israélienne est la stratégie d’assimilation de l’antisionisme à l’antisémitisme. Dès le début de son mandat en 2017, le président Emmanuel Macron a affirmé « l’antisionisme est le nouvel antisémitisme ». Il réitère régulièrement cette imposture intellectuelle notamment en mars 2022 à Toulouse où il affirme que « le Collectif Palestine Vaincra est un collectif antisémite » et désigne l’antisionisme come un ennemi de la République. Ces prises de positions font partie d’une stratégie plus globale des partisans de l’occupation sioniste dont l’objectif est de combattre le mouvement croissant de défense d’une Palestine libre de la mer au Jourdain. Un exemple central de cette stratégie est la définition de l’antisémitisme proposée par l’IHRA (International Holocaust Remembrance Alliance), définition encadrée par des exemples assimilant la remise en cause du projet sioniste à de l’antisémitisme. Cette définition a été adoptée à l’Assemblée Nationale, au Sénat mais également par les villes de Nice et Paris. Preuve que cette définition n’emporte pas le consensus, le vote au parlement français a eu lieu avec difficulté, y compris au sein de la majorité présidentielle, et mieux encore, la ville de Strasbourg a rejeté l’adoption de cette définition reconnaissant qu’elle était une tentative d’instrumentalisation dangereuse. Aujourd’hui, elle est un outil de plus aux mains des soutiens d’Israël mais rappelons qu’en France aucune loi n’interdit l’antisionisme en dépit des mensonges et amalgames proférés par l’extrême droite israélienne et ses soutiens.

La répression à l’échelle internationale

Si nous nous intéressons aujourd’hui plus spécifiquement à la répression de l’État français, il est nécessaire tout de même de noter que cette répression est internationale.
Par exemple, la ville de Milan a récemment adoptée la définition de l’IHRA après avoir poursuivi des militants pro-palestiniens qui s’étaient opposés à la présence de partisans de l’apartheid à une manifestation antifasciste.
Au Canada, le militant palestinien Khaled Barakat est la cible d’une campagne de la droite canadienne et des organisations sionistes qui vise à vouloir l’expulser du pays alors même qu’il a la nationalité canadienne.
Aux Etats-Unis, des militants palestiniens sont harcelés par des organisations sionistes à l’image de Nerdeen Kiswani, dirigeante palestinienne de Within our lifetime à New-York. Sans oublier, l’expulsion de l’ancienne prisonnière palestinienne Rasmea Odeh sous des motifs fallacieux.
Plus proche de nous, le gouvernement allemand poursuit sa politique de criminalisation de la solidarité avec la Palestine. Le 15 mai dernier, alors que les palestiniens et leur soutien commémoraient la Nakba de 1948, la ville de Berlin a interdit tout rassemblement ou manifestations en faveur de la Palestine. Heureusement, les Palestiniens de Berlin et des organisations anti-impérialistes ont défié ces interdictions en dépit d’une forte répression. Des personnes ont même été arrêtées en pleine rue juste sous prétexte qu’elles portaient un keffieh… Samidoun Deutschland a joué un rôle déterminant dans cette campagne qui a construit les bases d’une alliance solide de différents groupes berlinois comprenant que la répression anti-palestinienne concerne l’ensemble des internationalistes et des antiracistes.

 

Combattre la répression : l‘exemple de la lutte contre la dissolution du Collectif Palestine Vaincra

 

Alors bien entendu, la liste de la répression de l’État français sur le soutien à la Palestine que je viens de faire n’est pas vraiment complète… Il manque notamment la dernière attaque contre notre collectif. Depuis notre création, nous sommes la cible de campagnes de la part des partisans de l’apartheid israélien : des intimidations policières, des campagnes diffamatoires de groupuscules sionistes contre nos militants ou les salles qui nous accueillent, des menaces (y compris physiques) dans les médias par le CRIF, etc. Le 24 février dernier, on apprend sur Twitter que le ministre de l’Intérieur Darmanin lance une procédure de dissolution contre notre collectif. Parallèlement, une autre procédure vise le Comité Action Palestine de Bordeaux. Ces procédures sont la suite de celles pratiquées en particulier contre des organisations antiracistes et musulmanes ces dernières années.

Face à cette attaque sans précédent nous avons mené une lutte sur deux niveaux : politique et juridique, le second étant conditionné au premier. Rapidement, nous avons reçu un très large soutien, fruit du travail que nous menons depuis plusieurs années localement avec de nombreuses organisations et sur la question de l’anti-répression. En effet, nous pensons qu’indépendamment de nos différences nous devons faire front quand nous sommes attaqués. Car ces attaques concernent l’ensemble du mouvement de solidarité avec la Palestine en particulier et anticolonialiste en général, ne pas le comprendre est une faute politique qui met en danger l’ensemble du mouvement. Plus de 10.000 personnes ont signé la pétition contre la dissolution, 34 organisations toulousaines ont fondé un comité de soutien, plus de 150 organisations ont dénoncé cette dissolution et des actions de solidarité ont eu lieu dans des dizaines de pays. De la bande de Gaza au camp de Chatila à Beyrouth en passant par le Canada, le Chili, la Suède ou encore la Tunisie et l’Italie.
Parallèlement, nous avons déposé deux recours devant le Conseil d’Etat, un suspensif et un annulation. Plusieurs organisations se sont portées intervenantes volontaires dans la procédure (Union Juive Française pour la Paix, Association France Palestine Solidarité et l’Union Syndicale Solidaires) ce qui a été un soutien important. Le 29 mai dernier, nous avons remporté une première avec la décision de la suspension de la procédure. C’est évidemment une victoire politique importante qui est d’abord une victoire collective. Reste maintenant à obtenir l’annulation de la procédure à l’occasion de l’étude du deuxième recours qui devrait avoir lieu dans quelques mois.

 

Pourquoi cette répression ? Israël, prolongement organique de l’impérialisme

Si l’on veut aujourd’hui comprendre la répression faite au soutien à la Palestine, il nous faut comprendre le rôle d’Israël pour les puissances impérialistes, dont la France.

La colonisation de peuplement sioniste – puis l’Etat sioniste en 1948 – a été appuyée, financée, armée et soutenue par les différentes puissances occidentales. Dès le début de cette colonisation, les puissances coloniales-impérialistes, la Grande-Bretagne et la France en premier lieu, ont compris l’intérêt stratégique de la constitution d’un avant-poste dans la région. Région charnière entre l’Asie et l’Europe, le Moyen-Orient est depuis longtemps un enjeu pour ces puissances. Fondateur du mouvement sioniste en Europe à la fin du XIXème siècle, Théodore Herzl annonçait ainsi son projet en Palestine : « Pour l’Europe, nous construirions là-bas une partie du mur à dresser face à l’Asie, nous pourvoirions aux avant-postes de la civilisation contre la barbarie. »

Et aujourd’hui, ces mêmes puissances soutiennent toujours avec autant d’ardeur leur avant-poste régional. Que ce soit par la voie politique, économique ou militaire, la colonisation de la Palestine est financée et armée par les occidentaux, les USA en tête bien évidemment mais en passant aussi par les Etats européens, le Canada ou la Grande Bretagne. L’actuel président étatsunien Joe Biden a déclaré à ce sujet : « S’il n’y avait pas d’Israël, les États-Unis devrait inventer un Israël pour protéger ses intérêts dans la région ».

La France n’est pas en reste. Depuis plusieurs années, on observe un changement de paradigme au sein de l’appareil d’Etat vis-à-vis de la situation en Palestine occupée. Après avoir appliqué une « politique arabe », c’est à dire une politique prétenduement équilibrée, elle modifie progressivement sa stratégie pour la région en raison de plusieurs facteurs notamment la crise de l’impérialisme français, l’effondrement politique de la bourgeoisie arabe et palestinienne, le renforcement de la normalisation dans la région, etc. Ainsi, les différents gouvernements Macron ne se sont pas cachés d’un soutien unilatéral au colonialisme israélien : invitation d’officiel israélien (cette semaine le nouveau Premier Ministre israélien était en France pour son premier déplacement à l’étranger), déclaration de soutien à la colonisation de Jérusalem (dont celle de Macron qui est lue par Castex au dernier dîner du CRIF est affirme que « Jérusalem est la capitale éternelle du peuple juif »), etc.
C’est également dans le cadre de la défense des intérêts français dans la région, que nous devons comprendre les dernières visites de Macron au Liban. Donnant des leçons au peuple libanais à genoux après l’explosion du port de Beyrouth, plongeant ainsi le pays un peu plus dans la crise économique et politique, il ne lui manquait que l’uniforme de colon coiffé de son salacot pour parfaire le personnage !

Dans ce contexte, une libération de Georges Abdallah sans une pression populaire et politique conséquente est complètement illusoire. Le gouvernement français ne fera aucun geste dans ce sens s’il n’y est pas contraint. Pour citer Georges Abdallah lui-même, « il faut encore que le rapport de force réellement existant puisse faire comprendre aux représentants de l’impérialisme français que mon incarcération commence à peser plus lourd que les possibles menaces inhérentes à ma libération. »

Le renforcement de l’alignement stratégique de l’impérialisme français avec les Etats-Unis et l’occupation sioniste nous promet des défis importants pour l’avenir. Elle est le signe d’une répression qui va s’intensifier en France comme ailleurs dans le monde. Mais elle est aussi le signe que la résistance palestinienne grandit comme nous l’avons vu en mai dernier lors de l’Intifada de l’unité. Et avec elle, la centralité de la cause palestinienne comme combat anti-impérialise, anticolonialiste et antiraciste.
Pour finir, rappelons-nous l’héritage de Ghassan Kanafani. Intellectuel et leader palestinien, nous commémorions hier les 50 ans de son assassinat à Beyrouth par le Mossad. Il nous disait : « L’impérialisme a étendu son corps sur le monde entier, la tête en Asie orientale, le cœur au Moyen-Orient, ses artères jusqu’en Afrique et en Amérique latine. Où que vous le frappiez, vous l’endommagez et vous servez la révolution mondiale… La cause palestinienne n’est pas une cause pour les Palestiniens seulement, mais une cause pour chaque révolutionnaire, où qu’il soit, en tant que cause des masses exploitées et opprimées de notre époque. »