Depuis plusieurs années, l’adoption de la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la Mémoire de l’Holocauste (IHRA) est un enjeu pour les partisan·e·s de la colonisation de la Palestine afin d’amalgamer antisémitisme et antisionisme. Au lieu de s’attaquer aux principales sources d’antisémitisme aujourd’hui (en particulier l’extrême droite occidentale), sept des onze exemples associés à la définition mentionnent Israël. Ainsi, il serait antisémite de refuser « le droit à l’autodétermination des Juifs, en affirmant par exemple que l’existence de l’État d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste »Comme le souligne le militant palestinien Hanna Kawas, « affirmer qu’un État fondé sur le privilège exclusif d’un groupe par rapport à un autre n’est pas une entreprise raciste est l’ultime insulte à l’expérience vécue des Palestiniens. » Dans le même sens, Liliana Córdova Kaczerginski, militante juive antisioniste et membre fondatrice du Réseau International Juif Antisioniste, considère que les juifs et juives ne sont « pas un peuple, au sens d’une nation » mais plutôt « un groupe de personnes dans de nombreux pays, comme d’autres, tout comme il y a des protestants dans de nombreuses régions du monde, avec de nombreux courants, et cela ne signifie pas qu’ils vont demander un État ». On comprend mieux que les enjeux autour de l’adoption de cette définition visent d’abord à légitimer le projet sioniste en Palestine et criminaliser les voix antisionistes, en premier lieu les Palestinien·ne·s eux-mêmes. La lutte contre l’antisémitisme exige d’être débarrassée de ses manœuvres politiciennes abjectes !

Cette définition a été adoptée par différentes institutions nationales et internationales, mais elle a aussi été l’objet de fermes oppositions antiracistes (à l’image de la municipalité de Strasbourg qui a rejeté cette définition). En dépit d’une mobilisation importante, le conseil municipal de Vancouver au Canada a également adopté la définition de l’IHRA le 16 novembre dernier après l’avoir refusé en 2019. À cette occasion, la Canada Palestine Association a rappelé que « l’objectif principal de la définition de l’IHRA est de légitimer Israël et de calomnier tous ceux qui exposent ses activités illégales et inhumaines, en mettant un frein au travail de solidarité palestinien et en couvrant les crimes de guerre israéliens. Les trois D de la Hasbara israélienne sont à l’œuvre : ils déforment la nature de la lutte palestinienne, ils détournent l’attention de la nature colonialiste du sionisme et diffament comme antisémites tous ceux qui dénoncent et condamnent les atrocités israéliennes. Cela a toujours été le modus operandi de l’establishment israélien ; nous ne devons pas oublier la devise originale du Mossad « Par tromperie, tu feras la guerre ». »

Ailleurs au Canada, la Waterloo Regional District School Board va prochainement voter une motion visant à adopter cette définition. Devant cette échéance, plusieurs associations appellent à se mobiliser et soulignent que « la définition de l’IHRA est également utilisée par ses partisans pour réduire les Palestiniens au silence, censurer la façon dont les Palestiniens expriment leur histoire commune, restreindre la liberté académique et réprimer les expressions de la solidarité palestinienne. En bref, la définition de l’IHRA est utilisée pour mettre en place secrètement un racisme anti-palestinien systémique dans notre société. »

De la même manière, une proposition de loi espagnole vise à exclure des subventions les organisations considérées comme « antisémites ». À l’initiative de la députée de droite Isabel Diaz Ayuso, ce projet mobilise la définition de l’IHRA et menace donc directement le mouvement de solidarité avec la Palestine dans l’État espagnol. Vivant à Madrid, Liliana Córdova Kaczerginski est fermement opposée à ce projet et estime « qu’il y a une tentative coordonnée de la diplomatie israélienne de confondre la critique légitime et la solidarité avec le peuple palestinien avec l’antisémitisme parce qu’Israël veut avoir un laissez-passer dans une situation de non-respect du droit international ».

Il est aujourd’hui urgent de combattre le travail de fond effectué depuis plusieurs années par l’IHRA qui cherche, à travers l’adoption de sa définition de l’antisémitisme, à normaliser la politique d’occupation en Palestine et criminaliser le mouvement de solidarité avec le peuple palestinien. Il est de la responsabilité de l’ensemble du mouvement antiraciste de s’emparer de ce combat et de réaffirmer son soutien à la résistance du peuple palestinien face à l’occupation.

 

Crédit photo de couverture (« Israël est une entreprise raciste ») : Michael YC Tseng