La principale branche financière et coloniale du mouvement sioniste, le Fonds National Juif (KKL), actif depuis longtemps dans l’accaparement des terres palestiniennes et dans la spoliation et l’expulsion des Palestiniens, poursuit actuellement des groupes de solidarité avec la Palestine aux États-Unis pour avoir osé résister à ses prédations coloniales contre le peuple palestinien.

Le KKL et des Israéliens américains ont intenté une action en justice en 2019 contre la Campagne américaine pour les droits des Palestiniens, demandant des dommages-intérêts financiers pour le soutien de l’organisation au mouvement non violent de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), alléguant que son organe de coordination, le BDS National Commission, est une « façade pour les groupes terroristes ».

Un juge fédéral américain a rejeté la poursuite en 2021 faute de preuves. Cependant, le KKL a fait appel de la décision le mois dernier.

Tout aussi important est le fait que le procès du KKL demande une compensation à la Campagne américaine pour les droits des Palestiniens pour le soutien de cette dernière à la campagne internationale “Stop the FNJ [KKL] » qui proteste contre les activités du Fonds, largement considérées comme racistes et coloniales.

L’affaire KKL utilise la loi américaine de 1996 sur La peine de mort effective et l’Antiterrorisme, qui permet aux victimes du terrorisme de demander des dommages-intérêts compensatoires en vertu d’une ordonnance de restitution devant un tribunal civil fédéral.

 

Soutien matériel

 

Le KKL a été créé en 1901 en tant que bras financier de l’Organisation sioniste mondiale (OSM), fondée quatre ans plus tôt, pour planifier la colonisation de la Palestine par les juifs.

En 1899, l’OSM créa le Fonds pour l’implation juive (Jewish Colonial Trust), qui à son tour créa une filiale en Palestine en 1902 sous le nom de Banque anglo-palestinienne.

En 1908, le KKL a créé sa propre filiale, la Compagnie pour le développement colonial en Palestine (Palestine Land Development Company- PLDC), qui a entrepris de chasser les paysans palestiniens de leurs terres en acquérant des terres auprès des autorités ottomanes et des grands propriétaires absents à Beyrouth, Damas et Le Caire. La tâche principale du KKL était de collecter des fonds dans les communautés juives dans le but de s’emparer de la terre des Palestiniens – une activité clé qui se poursuit aujourd’hui.

Une autre filiale du KKL, appelée Himanuta, s’est vu confier ces dernières années l’exécution de transactions foncières juridiquement douteuses en Cisjordanie. La politique coloniale anti-palestinienne raciste de l’OSM et du KKL a conduit ce dernier à choisir le juif allemand Arthur Ruppin, déjà membre du KKL, pour diriger ses initiatives d’acquisition des terres en Palestine.

Né à Posen, une province à majorité polonaise sous occupation allemande et une colonie de colons allemands, Ruppin se considérait comme un scientifique de la race et avait des opinions racistes sur les peuples, y compris les juifs et les “types juifs”. Il est devenu un élément central de la colonisation sioniste de la Palestine.

Peu de temps après son arrivée en Palestine en 1907 lors d’un voyage financé par le KKL pour explorer la colonisation juive, Ruppin écrivit au KKL qu’il considérait « le travail du KKL comme étant similaire à celui de la Commission de colonisation [prussienne] travaillant à Posen et en Prusse occidentale. Le KKL achètera des terres chaque fois qu’elles seront offertes par des non-juifs et les offrira à la revente soit en partie soit en totalité à des juifs ».

Cette même année, le bureau JNF a été ouvert en Palestine, dirigé par Ruppin.

Ruppin, qui avait épousé les vues antisémites, a vu dans le colonialisme sioniste le moyen pour les juifs de cesser d’être méprisables à ses yeux : « Les juifs ne travaillent pas avec plaisir et devraient progressivement changer leurs moyens de subsistance pour l’agriculture et l’artisanat ; les antisémites sont pleinement dans le vrai quand ils accusent les juifs d’un désir anormal de profit ».

Dans ses recherches « scientifiques », Ruppin a ensuite photographié des juifs, mesuré leur crâne, catégorisé la forme de leur crâne et collecté leurs empreintes digitales afin de les diviser en types raciaux. Selon les plans de 1908 que Ruppin a élaborés pour la colonisation sioniste, il a cherché à établir une majorité juive dans certaines parties de la Palestine au cours des 20 prochaines années grâce à une immigration soutenue de 10.000 Juifs par an.

Il créa la Compagnie pour le développement colonial en Palestine (Land Development Company-PLDC) en 1908, dont les travaux, selon son acte fondateur, « assumeront les méthodes utilisées par… la Commission prussienne de colonisation… engagée dans un processus de colonisation dans les provinces orientales prussiennes ».

 

« Pureté raciale »

 

En 1911, Ruppin a commencé à proposer l’expulsion des Palestiniens indigènes.

La résistance paysanne, évidente depuis le début de la colonisation sioniste au milieu des années 1880, a repris après la vente en 1910 au KKL de vastes étendues de terres par la famille Sursuq, des propriétaires terriens absents basés à Beyrouth. Cela a entraîné l’expulsion d’encore plus de communautés paysannes palestiniennes des terres qu’elles avaient travaillées pendant des siècles et le démantèlement de leurs villages séculaires.

Les Sursuqs avaient acheté la terre à l’État ottoman en 1872 suite à la loi ottomane de 1858 privatisant la terre.

Les effets ont été particulièrement prononcés pour les paysans de l’un des villages, al-Fula. La transaction a été conclue par Ruppin à Beyrouth, mais les paysans ont refusé les ordres d’expulsion. Les autorités ottomanes ont quand même expulsé de force les paysans en 1911, et en ont arrêté un grand nombre. La milice coloniale juive, Hashomer, a tué un paysan.

À partir du début des années 1920, le KKL s’est lancé dans une frénésie d’achat de terres palestiniennes à des propriétaires terriens absents basés à Beyrouth et au Caire, déplaçant des milliers de paysans, qui rejoindront de plus en plus les soulèvements et les révoltes contre les colons et leurs sponsors britanniques.

La lutte pour la terre dans le village de ‘Affulah dans la région de Marj Ibn ‘Amir – qui comprenait 22 villages menacés d’expulsion – deviendra un point d’embrasement majeur en octobre 1924, tout comme le déplacement des Bédouins palestiniens de leurs terres agricoles et de pâturage ( environ 10.000 acres) à Wadi al-Hawarith.

Le déplacement de ces derniers a été retardé en raison de leur résistance et de leur refus de quitter leurs terres ainsi que des décisions en attente des tribunaux du mandat britannique. Ils ont finalement été expulsés par les Britanniques en 1933.

En 1931, Ruppin a déterminé que les méthodes pacifiques n’étaient pas possibles et que vaincre les indigènes palestiniens était le seul moyen d’établir la colonie de colons juifs. Il a déclaré : « Ce que nous pouvons obtenir des Arabes, nous n’en avons pas besoin, et ce dont nous avons besoin, nous ne pouvons pas l’obtenir. »

Peu de temps après l’arrivée au pouvoir des nazis en 1933, Ruppin rencontra Hans Gunther, l’un des principaux diffuseurs de la théorie raciale nazie. Ruppin, grand admirateur de Gunther, lui envoya des copies de ses propres publications sur la race. Sa rencontre avec Gunther visait également à faciliter les négociations entre les sionistes et le régime nazi, qui ont conduit au tristement célèbre accord de transfert sioniste-nazi.

En tant que raciste engagé, Ruppin n’a pas seulement été influencé dans sa vision des juifs par les antisémites chrétiens allemands, dont les théories ont influencé les nazis, mais, selon Etan Bloom, Ruppin lui-même avait influencé les théories raciales allemandes sur les juifs, qui ont ensuite été adoptées par les nazis.

Ruppin a insisté sur la « pureté raciale » juive pour que le projet sioniste réussisse et pensait que les juifs séfarades étaient inférieurs. En 1934, une proposition d’un autre responsable sioniste de recruter des juifs éthiopiens pour l’effort colonial sioniste consterna Ruppin. Il la refusa, arguant que les Éthiopiens étaient [le mot-N] « qui sont venus au judaïsme par la force de l’épée au VIe siècle avant JC » et « n’ont aucun lien de sang avec les Juifs ».

Ruppin considérait la plupart, mais pas tous, les Juifs européens (les Ashkénazes) comme appartenant aux “races blanches indo-germaniques”.

 

Colonisation ininterrompue

 

Alors que le rôle de Ruppin en tant que responsable sioniste le plus influent en Palestine s’est terminé avec sa mort en 1943, le KKL a poursuivi son travail colonial avec la même belligérance.

Il a poursuivi l’effacement de la géographie et de la présence palestiniennes sur la terre non seulement par la colonisation, mais aussi en renommant les villes et villages palestiniens, ce qu’il cherchait à faire avant 1948 par le biais du « Comité des noms de lieux » du fonds.

Après 1948, il a été remplacé par le « Comité des noms de lieux d’Israël ». Les deux comités ont suggéré et approuvé tous les nouveaux noms donnés aux rues, villes et cités construites sur la patrie palestinienne en ruine.

Après l’établissement de la colonie de peuplement, le gouvernement israélien a promulgué la loi sur le statut de l’organisation sioniste et de l’agence juive en novembre 1952.

Cette loi désignait l’OSM comme la partie responsable des « projets d’implantation dans l’État ». Il était habilité à coordonner « les activités en Israël des institutions et organisations juives actives dans (…) le développement et la colonisation du pays ».

L’une des institutions clés fut le KKL.

Comme l’Agence juive est incluse dans la loi avec l’OSM et le KKL, les trois organisations juives, dont les statuts les engagent à la colonisation juive, sont devenues des partenaires dans les politiques racistes d’Israël, qu’elles mettent toutes en avant au profit exclusif des « personnes de religion, race ou origine juive ».

Une nouvelle loi autorisant la création d’une société de fonds national juif en Israël a été promulguée un an plus tard, l’ancien KKL ayant été constitué en Grande-Bretagne en 1907.

Cette nouvelle loi autorisait le transfert de tous les biens et actifs du KKL détenus à l’intérieur des frontières du nouvel État d’Israël à la société israélienne, tandis que la société basée au Royaume-Uni continuerait de détenir tous les biens qu’elle possédait dans les zones « arabes » hors des frontières d’Israël, c’est-à-dire dans le reste de la Palestine et de la Jordanie.

Trois autres lois adoptées en 1960, « Loi fondamentale : terres d’Israël », « Loi sur les terres d’Israël » et « Loi sur l’administration des terres d’Israël », garantissaient que l’administration foncière israélienne gérerait toutes les terres de l’État israélien et les terres du KKL conformément à ses critères restrictifs.

Selon les nouvelles règles, toutes ces terres, acquises en confisquant les biens du peuple palestinien ethniquement nettoyé par la loi sur la propriété des absents (1950) et la loi sur la propriété de l’État (1951) – « plus de 90 % de la superficie totale de l’État » – sont devenues légalement réservées aux seuls juifs, c’est-à-dire aux juifs partout dans le monde, et pas seulement aux citoyens juifs, « pour toujours ».

En réalité, 92,6 % de la superficie totale de l’État d’Israël sont devenus réservés à l’usage exclusif des juifs, pour louer, vivre ou travailler. Ces stipulations racistes s’appliquent également aux terres privées juives à l’intérieur de l’État.

Le KKL poursuit ses efforts aujourd’hui armé de ces lois racistes israéliennes, y compris ses initiatives plus récents pour expulser les Palestiniens de leurs maisons à Jérusalem-Est occupée et les remplacer par des colons juifs.

L’ironie veut que cette organisation, qui a causé (et cause encore) tant de douleur et de souffrance au peuple palestinien au cours des 120 dernières années, demande une compensation financière à ses propres victimes et à leurs partisans pour avoir résisté au vol de leurs terres et à leur expulsion de chez eux.

Cette démarche, qui ne peut être décrite que comme un sadisme sociopathe invétéré, n’est rien de moins que du chutzpah [culot] raciste colonial.

 

Article de Joseph Massad, professeur de politique arabe moderne et d’histoire intellectuelle à l’université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles universitaires et journalistiques. Il a notamment publié Colonial Effects : The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs, The Persistence of the Palestinian Question : Essays on Zionism and the Palestinians, et plus récemment Islam in Liberalism. Ses livres et articles ont été traduits dans une douzaine de langues.

 

Source : Middle East Eye – Traduction : MR pour ISM-France