On connaissait la chaîne d’information continue BFMTV pour son positionnement (extrême) droitier clairement assumé, ses chroniques anti-immigration, son amour des dividendes. Cerise sur l’édito, un consortium de journalistes d’investigation a dévoilé hier qu’une des figures de la chaîne, Rachid M’Barki travaillait pour une officine de désinformation israélienne pilotée depuis Tel Aviv.

Il y a un mois, Rachid M’Barki, présentateur du « Journal de la nuit » de BFM TV a été écarté de l’antenne par sa direction (Marc-Olivier Fogiel). En 2022, le journaliste aurait diffusé à plusieurs reprises des sujets pour le compte de gouvernements étrangers. Cette révélation fait suite à une vaste enquête menée depuis plusieurs mois par le consortium de journalistes « Forbidden stories », dans le cadre du projet « Story Killers ». Et cette enquête nous conduit tout droit à Tel-Aviv, chez « Team Jorge », une officine spécialisée dans la désinformation qui proposent de multiples services : piratage, création de faux documents, lobbying sur les réseaux sociaux à travers la création de milliers de faux comptes, etc. Elle propose même des reportages clés en main. Parmi les clients de cette agence qui a été créée par des anciens du Mossad (service de renseignements israéliens) et de l’armée israélienne, on trouve évidemment des milliardaires, des personnalités politiques, des entreprises, des gouvernements et quelques criminels.

L’enquête révèle alors pas moins d’une vingtaine d’opérations pilotées par « Team Jorge ». Parmi elles, plusieurs vidéos diffusées à grande échelle via de faux comptes sur les réseaux sociaux ont retenu l’attention des journalistes. Présentées dans le cadre d’un journal de BFM TV, ces vidéos sont la réplique au mot près de deux campagnes d’influence : la première visait à critiquer la saisie de yachts russes ; la seconde avait pour objectif d’attaquer un ancien procureur général du Qatar. Ont été également relevées des brèves en faveur du « Sahara marocain », terme utilisé par le régime de Mohammed VI pour revendiquer sa souveraineté sur le Sahara occidental.

Rachid M’Barki aurait donc fait diffuser sur BFMTV des reportages fournis par « Team Jorge », moyennant rémunération. Et pour intermédiaire, on trouve Jean-Pierre Duthion, un français qui s’est fait un nom dans le merveilleux monde du lobbying. « Ancien consultant média et fixeur pour les journalistes francophones à Damas, au début de la guerre en Syrie, devenu, depuis, lobbyiste. M. Duthion a également été, en janvier, chroniqueur invité sur un site d’information, News365, qui a relayé la plupart des séquences « placées » dans le journal de la nuit de M. M’Barki, dont certaines concernant les yachts des oligarques russes et l’ancien procureur général du Qatar. » affirme le journal Le Monde. Un autre journaliste de cette même chaîne aurait lui aussi été approché par Jean-Pierre Duthion au cours des dernières années. Se gargarisant d’« accès privilégiés à Matignon, à l’Elysée, au Kremlin et à la Maison Blanche », il aurait donc demandé à Rachid M’Barki de diffuser à l’antenne plusieurs séquences pour le compte des différents clients. Rachid M’Barki quant à lui explique que ces sujets de désinformation sont proposés par l’intermédiaire en question et met en avant vaille que vaille, leur bon sens éditorial !
Mais au cours de l’enquête, les journalistes jouant les potentiels clients ont pu assister à Tel Aviv, à une démonstration de ce type de campagnes d’influence par le patron de « Team Jorge » lui-même, qui, se targuant de pouvoir passer des sujets à la télé française, leur montre des sujets diffusés par Rachid M’Barki sur BFMTV.

Ce travail de désinformation au service de candidats aux élections, de milliardaires ou de chefs d’État n’est pas nouveau. Mais ce que dévoile ou confirme l’enquête, c’est que ce réseau d’influence s’étend aisément jusqu’à des médias nationaux grâce à des « mercenaires » de la désinformation comme se surnomme lui-même Jean-Pierre Duthion. L’affaire paraît suffisamment sérieuse pour que, selon les informations du consortium « Forbidden stories », la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) se penche dessus.

Après le scandale du logiciel espion Pegasus, cette nouvelle affaire montre une facette bien peu reluisante de la « Start-Up Nation israélienne » : exporter son savoir-faire dans le développement de technologies et de méthodes au service de la manipulation et de la surveillance.