Les Palestiniens et les Arabes ont été des agents actifs de la résistance contre le colonialisme et l’impérialisme bien avant la Nakba, et l’héritage de cette résistance anticoloniale se perpétue aujourd’hui.

Cette année marque les 75 ans de la Nakba, qui a vu plus de 500 villages palestiniens détruits et dépeuplés et jusqu’à un million de Palestiniens expulsés de force de leurs maisons.

Les Palestiniens du monde entier commémorent cette tragédie tous les ans, le 15 mai, avec la Journée de la Nakba. Bien que la Nakba soit commémorée souvent comme un événement historique, pour nous la Nakba n’a pas commencé ou pris fin en 1948 et elle ne se limite pas non plus aux limites géographiques de la Palestine historique.

En fait, les Palestiniens et les Arabes résistaient activement au colonialisme et à l’impérialisme avant la Nakba, et cette résistance anticoloniale se perpétue jusqu’à aujourd’hui.

 

La Nakba se poursuit et la résistance aussi

 

Chaque jour, nous pouvons constater que la Nakba n’a jamais pris fin. Le 2 mai 2023, Khader Adnan est tombé en martyr : il est mort en prison après 87 jours de grève de la faim.

Walid Daqqah, emprisonné depuis 1986, n’est pas libéré malgré la détérioration de son état de santé. Les prisonniers sont le symbole de notre lutte et leur emprisonnement perpétuel nous rappelle que la Nakba est toujours en cours.

Al-Araqeeb est un village bédouin du Naqab qui, au 3 avril 2023, avait été démoli et reconstruit 215 fois. La démolition des maisons et des villages palestiniens se poursuit encore aujourd’hui et nous rappelle que la Nakba est toujours en cours.

L’année 2023 a été la plus meurtrière pour les Palestiniens depuis 2006 – entre janvier et avril 2023, 95 Palestiniens ont été tués par le régime sioniste. Nos martyrs sont le cœur de notre lutte, ils continuent à offrir leur vie pour notre libération et nous rappellent que la Nakba est toujours en cours.

Tout comme la Nakba, la résistance palestinienne se poursuit : les grèves de la faim en prison sont une forme de résistance, tout comme la reconstruction d’un village 215 fois. En fait, la résistance palestinienne a commencé bien avant la Nakba.

En particulier, la révolution de 1936-1939 a marqué une rébellion populaire paysanne qui a bénéficié de la mobilisation, la confrontation et l’expérience de 15 ans de lutte contre le sionisme et le capitalisme colonial qui appauvrissaient, dépossédaient et prolétarisaient la paysannerie palestinienne, sous le mandat britannique.

Les révoltes ont été déclenchées par l’assassinat d’Izz Al-Din Al-Qassam, un imam syrien qui s’était installé en Palestine et était devenu l’un des leaders des rébellions populaires paysannes contre les Britanniques.

En fait, la première résistance armée organisée par Izz Al-Din Al-Qassam fut celle des fermiers de Jénine en 1935.

Jusqu’à aujourd’hui, il n’y a pas de colonies de peuplement dans le triangle de Jénine (que le martyr Bassel Al-Araj appelle le « triangle de feu »), ce qui témoigne de la résistance continuelle de la région.

Leila Khalid, une éminente résistante palestinienne, affirme que les sionistes ont perdu la Palestine non pas en 1948, comme les historiens voudraient nous le faire croire, mais entre 1936 et 1939.

Cela soulève une question essentielle : compte tenu de l’importance historique de la révolution de 1936-1939, pourquoi fait-on souvent commencer l’histoire de la Palestine à la Nakba ?

 

L’histoire palestinienne est tronquée

 

S’il est vrai que la Nakba dure toujours, il est également vrai que la Nakba (et la résistance contre elle) est antérieure à 1948 et ne se limite pas aux contours géographiques de la Palestine historique.

En commençant l’histoire palestinienne à la Nakba, on occulte la révolution arabe de 1936-1939 en Palestine et, du coup, on ne peut pas comprendre le but ultime du projet colonial de peuplement sioniste.

L’entité sioniste a été stratégiquement créée par l’impérialisme britannique pour combattre l’unité arabe et installer un avant-poste impérial occidental dans la région.

Malgré cela, la lutte de libération palestinienne a toujours été, et continue d’être, un facteur essentiel de l’unité arabe face aux tentatives impériales et sionistes de division. Si Izz Al-Din Al-Qassam en est un exemple, l’Armée de libération arabe de 1948, dirigée par Fawzi al-Qawuqji, né au Liban, en est un autre.

Aujourd’hui encore, il existe à Jénine un « cimetière des martyrs » où reposent 44 martyrs irakiens qui ont sacrifié leur vie pour la Palestine en 1948.

Plus récemment, en avril 2023, des roquettes ont été lancées depuis Gaza, le Liban et la Syrie en réponse aux attaques contre les fidèles palestiniens de la mosquée Al-Aqsa pendant le Ramadan.

Les sionistes ont besoin, pour leur survie, que les Arabes et plus spécifiquement les Palestiniens soient divisés, car il n’y a pas grand-chose d’autre qui lie les sionistes entre eux.

Nous ne pouvons pas limiter notre commémoration de la Nakba aux frontières géographiques de la Palestine historique, construites par la colonisation, car cela ne favorise pas l’unité de la lutte arabe antisioniste.

Une autre raison pour laquelle le récit de l’histoire palestinienne commence souvent par la Nakba, est celle des classes sociales et de l’impérialisme. En effet, l’histoire palestinienne est trop souvent écrite par la bourgeoisie palestinienne, qui n’accorde que peu d’attention à ces deux questions.

Si la Nakba a frappé tous les Palestiniens, c’est la paysannerie et la classe ouvrière palestiniennes qui ont mené la révolution de 1936-1939, catalysée par la frustration de la paysannerie palestinienne à l’égard de la classe dirigeante qui n’avait pas tenu sa promesse de mettre fin à la domination coloniale britannique sur la Palestine.

La paysannerie et la classe ouvrière palestiniennes ont donc pris leur destin en main, ce qui a conduit à la révolution de 1936-1939. Cette révolution populaire est souvent rendue invisible dans l’histoire palestinienne par une focalisation étroite sur la Nakba, dépourvue de toute analyse de classe ou d’impérialisme.

Une troisième raison pour laquelle la Nakba est privilégiée dans la narration de l’histoire palestinienne est la dépolitisation de notre lutte. On a tendance à réduire la dépossession et l’oppression des Palestiniens à un moment historique unique qui nous est arrivé « à nous » et à nier notre capacité à changer notre réalité actuelle et à obtenir la libération de notre pays et le droit d’y revenir.

Alors que le Jour de la Nakba était une date de protestation depuis 1949 (au même titre que le jour de la terre, le jour de mai et le jour des prisonniers), il a pris de l’ampleur à la fin des années 1990 pour devenir la date centrale du calendrier palestinien.

C’est dû au fait que le Jour de la Nakba a été cérémonieusement officialisé par Yasser Arafat en 1998.

Plus récemment, les Nations unies ont annoncé que 2023 serait la première année où elles commémoreraient officiellement la Nakba palestinienne.

L’officialisation de la Journée de la Nakba par Yasser Arafat et la reconnaissance de cette date par les Nations unies montrent la manière dont la Nakba a été instrumentalisée : elle a servi d’argument néolibéral en faveur de la paix et de la réconciliation au lieu de la libération et du droit au retour.

Plutôt que de soutenir la Résistance, les commémorations victimisent les Palestiniens en mettant l’accent sur leur dépossession et elles enterrent les résistances antérieures et postérieures à la Nakba en réduisant toute l’histoire de la lutte palestinienne à un seul moment.

La Journée de la Nakba a été utilisée pour replacer le mouvement de libération palestinien à l’intérieur d’une narrative victimaire basée sur les droits humains, ce qui dessert à la fois la Nakba et la Résistance qui sont toujours en cours.

Le récit actuel sur la Palestine qui sature les médias occidentaux et les espaces d’organisation de la diaspora porte sur un seul moment dans le temps et un seul lieu géographique et il est largement dominé par un récit de dépossession et de défaite, étayé par des notions néolibérales de paix et de réconciliation plutôt que de libération et de retour.

Recadrer et approfondir notre compréhension de la résistance palestinienne historique et contemporaine engendreraient un profond optimisme et un sentiment d’appartenance capital qui serviraient notre mouvement de libération au lieu de nous paralyser dans le cynisme et l’inaction.

Il nous revient, à nous, jeunes Palestiniens et Arabes qui luttons dans la diaspora, de prendre en charge ce travail critique d’élévation de la conscience de nous-mêmes et de nos communautés.

 

Article du Mouvement de la Jeunesse Palestinienne – Palestinian Youth Movement, publié initialement le 14 mai 2023 par mondoweiss.net

 

Source : Chronique de Palestine