L’armée et les colons israéliens rendent systématiquement la vie insupportable, pour la communauté bédouine qui vit dans la région d’Ein Samiya, en Cisjordanie. Le 22 mai, ses membres ont été forcés de quitter leurs terres et ont été déportés pour la quatrième fois depuis 1969.

Lundi 22 mai, au moins 16 familles palestiniennes (près de 170 personnes) ont été expulsées de force de leurs maisons près de la source d’Ein Samiya et du village palestinien de Kufr Malek, à 27 kilomètres au nord-est de Ramallah.

La source se trouve entre Kufr Malek et la colonie illégale, réservée aux juifs, de Kohav HaShahar et l’avant-poste tout aussi illégal de Moaz Ester. La communauté bédouine, qui fait partie du clan Ka’abneh, vit dans cette région depuis plus de trente ans et comprend 16 familles qui vivent de l’élevage et travaillent dans l’agriculture.

Mercredi 24 mai, dans la soirée, le clan Ka’abneh finissait de transporter ses dernières possessions vers un nouvel endroit, à quelques centaines de mètres de ses anciens emplacements. Il s’agissait d’une réinstallation forcée suite à des semaines de harcèlement de la part des colons et de la police qui rendaient la vie impossible, pour la communauté.

« Ce qui s’est passé hier était une nouvelle Nakba », explique

Abu Najeh Ka’abneh, 81 ans, à Mondoweiss jeudi soir, à l’extérieur du village d’al-Mughayyir, où la communauté a été réinstallée.

« Notez, notez », dit Abu Najeh avec fermeté. « Ne vous trompez pas dans les informations. Je vais parler plus lentement. Concentrez-vous et écrivez. »

Assis au milieu d’un cercle d’hommes de sa communauté, avec les gosses qui entrent et sortent en toute hâte de la tente de réunion, Abu Najeh parle avec frustration et avec crainte pendant qu’il décrit l’expérience poignante de la semaine précédente.

« L’attaque du lundi 22 mai a été précédée de plusieurs jours de harcèlement continu », explique Abu Najeh à Mondoweiss.

« Le 16 mai, des colons sont venus et ont volé 37 moutons de notre communauté d’Ein Samiya, et j’ai appelé la Croix-Rouge pour qu’elle nous aide », dit-il.

Abu Najeh s’était adressé à la Croix-Rouge parce que, le 16 mai, la police israélienne avait agressé un berger de 51 ans de la communauté en prétendant que ses moutons appartenaient à l’un des colons de la colonie de Kohav HaShachar.

« Quand Ata, le berger, a voulu dire quelque chose, la police l’a menotté », déclare Abu Najeh, en respirant une bonne fois avant de poursuivre.

« Et, quand le berger – il est bel et bien le propriétaire des moutons – a utilisé son téléphone pour appeler l’un d’entre nous, la police le lui a confisqué. »

Les jeunes de la communauté ont finalement vu l’altercation avec la police et ont diffusé la nouvelle de l’incident jusqu’à ce qu’elle parvienne à Abu Najeh. « C’est un kidnapping, non ? »

Selon les membres de la communauté, Ata a été relâché vers 21 heures, le mardi 16.

« Il a eu une amende de 1 500 shekels et ses 37 moutons ne lui ont jamais été rendus. Le prix d’un seul mouton varie entre 1 200 et 2 000 shekels. Faites le calcul », dit Abu Najeh, répétant une fois encore le nombre de moutons volés : « Trente-sept. » Le gagne-pain entier de l’homme réside dans son troupeau, avec une famille de vingt personnes qui dépendent toutes de lui pour leurs besoins quotidiens.

Quelques jours plus tard, Abu Najeh et 170 autres membres de sa communauté ont été forcés de ramasser ce qu’ils ont pu récupérer de leurs maisons et de leurs possessions.

« Nous, Palestiniens, qui doit nous protéger ? Ne devrait-ce pas être nos représentants ? », dit à Mondoweiss Khader Ka’abneh, un autre membre de la communauté bédouine. Bondissant de sa position assise, Khader se met à évacuer toute son indignation refoulée.

« Malheureusement, lors des accords d’Oslo, nos problèmes n’ont pas été discutés et ce que nous avons vécu il y a quelques jours, c’est une Nakba pire encore. »

Pour les communautés bédouines de Palestine, le mode de vie qu’elles mènent, concentré sur l’élevage, leur permet de voyager un peu partout dans le paysage de la Palestine, continuant ainsi à solidifier la présence de Palestiniens dans diverses régions autour de Jéricho, de la vallée du Jourdain et du Mu’arajat — avec un risque permanent d’annexion par Israël. Mais le fardeau de la survie, associé à l’internalisation d’un sentiment de devoir de protection de la terre du vol par les colons, pèse lourdement sur les Bédouins palestiniens.

« C’était le seul foyer que ma famille ait connu », dit à Mondoweiss Umm Najeh, la femme d’Abu Najeh, en s’asseyant sur une chaise en plastique dans une tente nouvellement dressée moins de douze heures après l’expulsion. « J’ai donné naissance à tous mes huit enfants, sur cette terre. »

Le fils aîné d’Umm Najeh a 32 ans, le plus jeune 12. Ni l’un ni l’autre n’ont connu de foyer ailleurs que dans les collines près de Kufr Malek, qu’ils ont sillonnées en long et en large avec leurs moutons durant toute leur existence.

« Les enfants ont peur d’eux en permanence », dit Umm Najeh alors que Jamal, 12 ans, passe devant la tente dans laquelle elle et d’autres femmes de la communauté sont assises à rebâtir leur foyer et arrangeant le peu qui reste de leurs maigres possessions.

 

Un lent nettoyage ethnique

 

« Les colons viennent encore plus souvent, chaque nuit et presque chaque jour », dit Umm Najeh à Mondoweiss au moment où elle lave et hache finement un peu de persil pour le dîner.

« Vous voyez, auparavant, nous avions la possibilité d’appeler la police pour qu’elle intervienne quand les colons attaquaient. Aujourd’hui, depuis deux ans environ, c’est la police elle-même qui lance les attaques » explique Abu Najeh.

Selon la communauté, la police israélienne des frontières a non seulement protégé les colons au cours de leurs déchaînements mais, en certaines occasions, elle s’est directement jointe à eux dans toute cette violence.

« Si la police voyait notre sang jaillir en face d’elle suite aux actes des colons, elle nous traiterait encore de menteurs », explique Abu Najeh.

Les Bédouins palestiniens vivent généralement en Zone C qui, selon les accords d’Oslo, occupe plus de 65 % de la Cisjordanie et se trouve sous le contrôle des colons et de l’armée israélienne. Cela signifie que l’Autorité palestinienne (AP) n’a aucune juridiction, dans cette zone, de sorte que, pour les Bédouins palestiniens, le seul recours face à la violence des colons consiste à lancer un appel aux autorités israéliennes.

Outre l’intensification de la violence à laquelle est exposée la communauté Ka’abneh depuis ces cinq dernières années, le clan bédouin s’est également retrouvé financièrement à sec en raison du vol de ses moutons et de son gagne-pain. Ajoutez à cela les raids de nuit des colons visant à les expulser et les Bédouins ont finalement été contraints de se réinstaller du côté du village d’al-Mughayyir — le tout étant le produit d’une politique de nettoyage ethnique lent qui leur rend la vie impossible au point qu’ils finissent par s’en aller.

La communauté craint qu’ils n’aient été perçus comme ayant renoncé à leurs terres d’Ein Samiya. « Il y a des gens qui disent qu’ils ont tout simplement choisi de partir », déclare Khader à Mondoweiss, d’une voix plus irritée qu’attristée.

« Je le vois dans les médias sociaux, certains ont dit que nous avions tout simplement choisi de nous en aller. Mais ces cinq années d’attaques des colons contre nos enfants et nos femmes, cela a fait suffisamment mal. C’en était assez », ajoute-t-il.

À ce moment, son fils Jamal, 12 ans, lève le bras, dissimulant en dessous une écharpe noire attachée à son cou et servant de fronde artisanale – il s’est cassé le bras en s’enfuyant des colons dans les moments qui ont débouché sur l’expulsion de la communauté par la violence, le 24 mai.

« Nous ne pouvions plus le supporter. Je le jure, je le promets, si nous avions eu du soutien – au moins emmener les femmes et les enfants pour les tenir en lieu sûr – nous serions restés et nous aurions continué d’être les gardiens de la terre », explique Khaled.

« Hier a eu lieu la pire Nakba que nous ayons connue », dit Abu Najeh. « Regardez-nous, nous ne savons pas comment nous asseoir et comment manger… »

« En deux jours, nous avons dû reconstruire un foyer », déclare Umm Najeh en montrant du doigt l’amas de petites cabanes métalliques et de tentes qui servent désormais de foyers temporaires pour la communauté.

« Regardez ça, nous avons été à même au moins de reconstruire ces chambres pour recevoir des invités et nous voici, avec la grâce de Dieu, en train de reconstruire encore », dit-elle avec un sourire qui semble retenir un flot de larmes.

 

« Le colon, c’est l’État et l’État, c’est le colon »

 

Au cours des trois premiers mois de 2023, les colons israéliens en Cisjordanie ont considérablement multiplié leurs attaques contre les fermiers et éleveurs palestiniens. L’organisation israélienne de défense des droits humains, B’Tselem, a répertorié au moins 108 incidents différents où des colons, souvent épaulés par la police ou par l’armée, ont agressé des fermiers, déraciné des arbres et molesté des civils et des enfants palestiniens. En 2022, l’année précédente, on avait assisté à un pic record du nombre d’attaques de colons en Cisjordanie, alors qu’entre 2010 et 2019, des milliers d’attaques de colons avaient quand même été enregistrées aussi. En février dernier, les colons israéliens ont perpétré un pogrom dans la ville palestinienne de Huwwara, non loin de Naplouse, tuant un Palestinien, en blessant des douzaines d’autres, en terrorisant des milliers au cours d’une vague d’incendies, le tout se soldant par des millions de shekels de dommages infligés à des propriétés privées.

La déportation des Bédouins de la région d’Ein Samiya fait partie de cette trajectoire de violence accrue de la part des colons mais elle est également liée à l’évolution des colonies voisines de Moaz Esther et de Kohav HaShachar.

La colonie de Kohav HaShahar, fondée en 1980 pour 280 familles de colons israéliens, est située entre les villes et villages palestiniens de Ramon, la dernière ville palestinienne avant la vallée du Jourdain. Actuellement, 400 familles de colons vivent dans la colonie qui se vante d’être une « colonie religieuse dont la communauté se développe avec chaleur et favorise la vie familiale ».

Par ailleurs, l’avant-poste illégal de Moaz Esther est renseigné comme le seul « sommet de colline peuplé uniquement de filles », promouvant ainsi la participation des femmes dans l’expansion des colonies comme un devoir qui incombe à tout juif. L’avant-poste a été fondé en 2006 en souvenir d’Esther Galia, tuée lors d’une fusillade en voiture près de la colonie de Rimonim, au plus chaud de la Seconde Intifada, quand les forces israéliennes avaient commis des crimes contre l’humanité en Cisjordanie et à Gaza.

En février 2020, les autorités israéliennes et leur police avaient démantelé deux tentes de colons israéliens de l’avant-poste illégal de Kohav HaShachar. L’opération n’avait pas eu lieu sans heurts avec les colons, et la police avait arrêté au moins l’un d’eux qui avait jeté des pierres et agressé la police. Toutefois, après l’Intifada de l’Unité, en 2021, quand les Palestiniens s’étaient engagés pour la première fois depuis des décennies dans une mobilisation collective de masse du fleuve à la mer, la violence israélienne, tant de la part des colons que de l’armée, s’était amplifiée. À l’époque, Benjamin Netanyahou, qui était confronté à des accusations de corruption, avait donné le feu vert à la violence conjointe des colons, de l’armée et de la police contre les Palestiniens.

« Vous devez vous concentrer là-dessus, et comprendre, s’il vous plaît », dit Khader Ka’abneh à Mondoweiss« Le colon, c’est l’État et l’État, c’est le colon. C’est une seule et même chose. »

Alors qu’Israël tentait de séparer les colons en Cisjordanie de gens de l’armée, les décideurs politiques israéliens représentent les aspirations des colons. Ces aspirations ont tendu à gagner en intensité au cours des périodes de résistance palestinienne accrue. En 2018, par exemple, le ministre de l’Agriculture de l’époque, Uri Ariel, avait promis : « Notre revanche réside dans le peuplement et dans la nécessité de se cramponner à la terre ». Il avait tenu ces propos suite à l’agression au couteau du colon israélien Adiel Kolman lors du pic des tentatives d’Israël en vue de renforcer son contrôle sur Jérusalem-Est.

« J’espère que nous continuerons à faire progresser la construction à Jérusalem et en Judée et Samarie et à décider clairement, une fois pour toutes, qu’entre le [fleuve] Jourdain et la mer [Méditerranée] il n’y aura qu’un seul État souverain, et ce sera l’État d’Israël », affirmait Ariel conjointement à Nir Barakat, à l’époque maire de Jérusalem.

Abu Najeh confirme que cette période est l’un des pics dans le vol de terre et de propriété par les colons et les militaires. « Ces cinq dernières années, la police a amené des colons qui possèdent des moutons et ils sont venus dans ces zones de pâturages », explique Abu Najeh.


Toute une vie d’expulsions

 

Avec douceur et tristesse, Umm Najeh parle des terres où elle a vécu pendant plus de trente ans. « C’était mon chez-moi, un lieu qui m’était cher », dit-elle à Mondoweiss. « J’ai eu tous mes huit enfants, sur cette terre », dit-elle. « Nous voilà déportés ici, désormais. »

Au contraire d’Umm Najeh, de l’expulsion la plus récente et de la série de harcèlements et de vols qui l’ont précédée, l’histoire d’Abu Najeh ne commence pas là. En fait, il a été expulsé de force de sa terre à quatre reprises depuis 1969.

« Faites bien attention, ici. Notez », répète Abu Najeh, 81 ans, en racontant le long parcours de dépossession qui a marqué sa vie. « Je suis né dans la région de Hébron et j’ai grandi à al-Ouja, où je suis resté jusqu’en 1967, quand on nous a donné des documents nous permettant d’y rester. »

Al-Ouja, une région située à dix kilomètres au nord de Jéricho et qui comprend la vallée de l’Ouja, reçoit un cours d’eau en provenance d’Ein Samiya et qui coule vers Ramallah. De là, la rivière Ouja va se jeter dans le Jourdain. En raison du mode des communautés bédouines, centré sur l’élevage, les sources d’eau naturelles et leur relation avec l’écosystème dans le sens large dictent aux Bédouins le choix de leur mode d’existence.

« En septembre 1969, les autorités et les forces israéliennes nous ont donné 24 heures pour tout rassembler et partir nous installer dans la région de Ramallah », explique Abu Najeh, en rappelant sa première expérience d’une expulsion. Ce mois de septembre, ç’a été le moment où la communauté Ka’abneh s’est rendue dans la région de Mu’arajat, près de Ramallah.

Six mois plus tard, en mars 1970, la communauté était forcée de quitter ses foyers de nouveau, ce qui a constitué pour Abu Najeh sa deuxième expérience d’une expulsion.

« Il pleuvait et l’armée est venue et elle s’est mise à nous obliger de partir. Même sous la pluie. » L’armée israélienne expulsait les familles sous le prétexte de vouloir utiliser la zone à des fins militaires.

« Les soldats nous ont emmenés à 3 ou 4 kilomètres de là dans leurs véhicules », rappelle Abu Najeh.

Les autorités israéliennes ont déplacé la communauté vers une zone située à 500 mètres de là où elle commencé à construire une nouvelle habitation six mois plus tôt. Cela les a encore poussés un peu plus dans la direction de Ramallah, mais la campagne de terreur ne s’est pas arrêtée là.

« Quatre ou cinq tentes de l’armée sont venues et sont restées sur place pendant deux ou trois mois. Puis ils sont venus et se sont mis à tirer des balles sur nous et nos maisons. Les balles entraient dans les maisons et les enfants s’encouraient », dit Abu Najeh.

« Les soldats ont quitté toutes les terres vides autour de chez nous et se sont mis à tirer dans notre direction. Vous comprenez pourquoi ? De la sorte, ils peuvent nous expulser, nous faire partir ». poursuit Abu Majed avec amertume.

Cette fois, ç’a été leur quatrième expulsion, quand le clan Ka’abneh s’est enfui de Mu’arajat sous les balles israéliennes et s’est réinstallé dans la région d’Ein Samiya. Avant la quatrième et plus récente des expulsions, en mai de cette année, la communauté avait vécu quelques dizaines d’années près d’Ein Samiya sans être dérangée.

« Allah nous a gardés à l’abri de ces gens-là et c’est ainsi que nous avons pu aller à Ein Samiya, où nous étions depuis les années 1970 », dit Abu Najeh, dont la voix traduit la nostalgie des lieux qu’il connaissait depuis des décennies.

Lors de leur troisième expulsion, en 1970, l’armée israélienne avait transformé leurs terres de la région de Mu’arajat en « zones de tir » militaires interdites.

« Ils tiraient sur nous, sur nos maisons, et c’est ainsi qu’ils peuvent nous chasser », dit Abu Najeh.

Cette politique d’aménagement de « zones de tir » et de « bases militaires » se poursuit à ce jour en tant qu’instrument d’un nettoyage ethnique lent et progressif, compartimentant de vastes surfaces de terre à l’usage de l’armée et justifiant de la sorte le vol de terre s’appuyant sur les nécessités de la « sécurité nationale ».

Dans les parages de la vallée du Jourdain et de la mer Morte, non loin de Jéricho, les autorités israéliennes ont déclaré la moitié de la région « zone de tir ». Ces zones, qui ont les plus vastes réserves de terre, constituent près d’un tiers de la Cisjordanie et hébergent près de 80 000 Palestiniens, dont 15 000 sont des Bédouins, éparpillés en quelques douzaines de groupes de communautés. Tous ces Bédouins sont lentement repoussés en direction de Ramallah.

« Le transfert forcé, indirect et direct, est actuellement à l’avant-plan de l’agenda idéologique israélien en zone C », faisait savoir un rapport publié en 2015 par l’Agence de développement MAAN.

« Des zones de tir, initialement créées comme moyens de contrôle, sont désormais utilisées pour créer un environnement si hostile que les Palestiniens sont forcés de quitter la zone ou de vivre dans des conditions de sécurité qui ne cessent de se détériorer », conclut le rapport.

Le tissu d’expériences reliant quatre expulsions différentes permet à Abu Najeh de juger le déroulement du projet de nettoyage ethnique de l’État israélien au fil des années. « Cette année est pire que la guerre de 1967 », dit-il.

 

La Nakba en cours

 

Les expériences du clan Ka’abneh ont enseigné à ses membres que cette expulsion ne sera pas la dernière qu’ils connaîtront.

« Demain sera plus sombre qu’aujourd’hui et le jour d’après sera plus sombre que demain », dit amèrement Abu Najeh en s’adressant à la ronde à un groupe d’hommes de sa communauté, le lendemain de l’expulsion d’Ein Samiya.

Le scepticisme de la communauté quant à un avenir moins violent provient des souvenirs répétés d’expulsion et d’agression de la part des colons. Au début des années 1970, à peu près dès que le clan Ka’abneh avait acquis une certaine stabilité à Ein Samiya, les tribunaux israéliens s’étaient mis à encourager des expulsions l’une après l’autre. Année après année, la communauté allait devoir les combattre devant les tribunaux.

« Depuis 1980, nous luttons devant les tribunaux contre chaque ordonnance d’expulsion », explique Abu Najeh à Mondoweiss. Les ordonnances émanant des autorités israéliennes en vue de l’expulsion de la communauté ont débuté en 1974, déclare Abu Najeh.

En février de cette année, reflétant l’expérience du clan Ka’abneh, d’autres communautés bédouines de la région de Mu’arajat ont été obligées de quitter leurs foyers et de se réinstaller ailleurs, vu la sévérité des attaques des forces israéliennes et le manque de protection.

Quant à la communauté Ka’abneh, sa réinstallation près du village d’al-Mughayyir, non loin de Ramallah, l’a placée en terrain hostile. Peu après l’arrivée du clan dans le village, des colons israéliens ont attaqué al-Mughayyir et ses fermiers. Au même moment à peu près, dans d’autres villes et villages de Cisjordanie, les Palestiniens ont été confrontés à une vague de violence meurtrière de la part des colons et des militaires israéliens.

Cela n’a fait que conforter la conviction de ce qu’aucun lieu n’était à l’abri des colons israéliens.

Pour les Palestiniens, il n’y a là rien de neuf et la chose est perçue comme une continuation de ce qui a commencé en 1948. Et, alors que les Palestiniens ont assisté à la résurgence de la résistance au colonialisme israélien un peu partout en Cisjordanie depuis 2022, certaines communautés ont été incapables de résister au harcèlement constant et aux outrages quotidiens de l’oblitération coloniale.

« Je ne puis résister seul à l’État israélien », explique Khader Ka’abneh à Mondoweiss, répétant sa déclaration précédente : « Le colon, c’est l’État ; le colon, c’est le gouvernement. Je ne peux combattre ça tout seul. »

Ata, le berger de 51 ans, se fait l’écho de la déception, admettant qu’il ne peut plus combattre les attaques de colons. « Je n’ai cessé d’essayer de le faire ces cinq dernières années, et je n’en peux plus. »

 

Article de Mariam Barghouti, principale correspondante de Mondoweiss sur la Palestine, publié initialement le 31 mai 2023

 

Source : Mondoweiss – Traduction : Plateforme Charleroi-Palestine
Crédit photo : Majd Darwish/Mondoweiss