L’opération génocidaire se poursuit depuis près de 250 jours dans la bande de Gaza : des dizaines de milliers de morts palestiniens, des infrastructures civiles détruites à 70% et une crise sanitaire et humanitaire sans précédent. Face à cette situation, on voit émerger en France la revendication de la « reconnaissance de l’État palestinien » comme l’ont fait récemment l’Espagne, l’Irlande et la Norvège, rejoignant plus de 140 pays dans le monde. Une tribune d’artistes dans Libération, des appels des principales d’organisations de gauche, la Une de l’Humanité… tous semblent être unis pour défendre cette perspective qui peut paraître à première vue comme louable. Mais de quoi parle-t-on ? Et surtout, pourquoi c’est une revendication que nous ne défendons pas au Collectif Palestine Vaincra ?

 

Qu’est-ce que « l’État palestinien » ?

 

En 1964, l’Organisation de Libération de la Palestine déclare dans sa charte lors du premier Conseil national palestinien : « La Palestine avec ses frontières de l’époque du mandat britannique constitue une unité régionale indivisible. » A sa suite, l’ensemble du mouvement national palestinien moderne a défendu la perspective de la libération de toute la Palestine de la mer au Jourdain avec Al Qods comme capitale.

Depuis le programme en 10 points de 1974 jusqu’à la déclaration d’indépendance de la Palestine à Alger en 1988, la direction du Fatah incarnée par Yasser Arafat a pris un autre chemin en imposant une stratégie diplomatique autour de la perspective de la défense de la « solution à deux Etats » et la reconnaissance implicite puis explicite de l’État sioniste. En d’autres termes, la défense d’une entité palestinienne sur à peine 22% de la Palestine historique, c’est-à-dire la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est.

Cette stratégie a atteint son paroxysme avec la signature des accords d’Oslo en 1993 qui ont entériné la trahison des positions historiques du mouvement national palestinien, en premier lieu desquelles la défense du droit au retour des réfugiés palestiniens et la libération de toute la Palestine. Trente ans plus tard, le bilan est sans appel. La colonisation sioniste de la Palestine s’est poursuivie inlassablement. L’Autorité Palestinienne qui était censée être la structure pour administrer ce nouvel « Etat » ne l’a nullement empêché, au contraire. Elle s’est révélée être l’instrument d’une bourgeoisie corrompue qui collabore avec l’État sioniste, à l’image de la coordination sécuritaire avec Israël en Cisjordanie pour réprimer les Palestiniens qui résistent à l’occupation et la colonisation.

 

Reconnaître « l’État palestinien », le mirage des accords d’Oslo

 

Alors que le génocide se poursuit dans la bande de Gaza, on voit re-émerger « la reconnaissance de l’État palestinien » dans plusieurs pays occidentaux. Même si on peut reconnaître une portée symbolique d’une telle action tant le gouvernement israélien actuel est radicalisé, cette perspective n’est rien d’autre qu’un outil pour imposer à nouveau la stratégie de « la solution à deux États ». Mais les droits nationaux et sociaux du peuple palestinien, tels que le droit au retour des réfugiés, ne seraient pas renforcés par cette reconnaissance. Elle ne ferait que justifier une fois de plus la division de la Palestine et la colonisation sioniste. « Les efforts visant à rechercher la reconnaissance diplomatique d’un État palestinien imaginaire sur une fraction de la Palestine historique sont une stratégie de désespoir de la part d’une direction palestinienne qui est à court d’options, a perdu sa légitimité et est devenue un obstacle sérieux sur la voie du rétablissement de ses droits par les Palestiniens » rappelle le journaliste palestinien Ali Abunimah dans un article paru sur Al Jazeera en 2011.

Dans une récente déclaration, l’organisation de la jeunesse palestinienne Al Yudur présente dans l’État espagnol affirme que « le peuple palestinien a besoin de plus qu’un geste symbolique. Reconnaître l’État palestinien, à partir des miettes résultant des accords d’Oslo, ne nous libère pas de la colonisation, de l’apartheid ou de l’occupation militaire, ni ne libère nos prisonniers des prisons coloniales. Le cadre des Accords d’Oslo et la soi-disant « solution à deux États » n’ont fait que contribuer à fournir un cadre permettant à Israël d’approfondir sa colonisation, désormais avec le soutien de l’Autorité palestinienne, une organisation collaborationniste sous-traitante et financée par Israël. » De la même manière, Abdallah Silawi de Boussole Palestine a récemment interpellé le mouvement de solidarité avec la Palestine en soulignant que « reconnaître un micro État palestinien et cibler Netanyahou sont deux stratégies aboutissant à contenir notre mouvement, à préserver les intérêts sionistes et maintenir l’hégémonie occidentale ».

« Proposer « l’État palestinien » en ce moment et de cette manière vise à isoler sérieusement la résistance et à saper sa base populaire de masse. C’est le moyen d’imposer la reddition au peuple palestinien, car une telle capitulation ne peut être imposée tant que le mouvement de résistance est capable de maintenir sa position de seul représentant de sa volonté » déclare l’écrivain et révolutionnaire palestinien Ghassan Kanafani en 1971 au lendemain de la défaite de Septembre Noir. Un commentaire qui résonne avec la séquence actuelle.

 

Soutenir la libération de la Palestine de la mer au Jourdain

 

Plutôt que de demander aux puissances occidentales, co-responsables de l’occupation de la Palestine, la reconnaissance d’un bantoustan1, nous devons nous mobiliser pour défendre la perspective de la libération totale des terres palestiniennes de la mer au Jourdain. Cela passe par affirmer la centralité politique de la résistance du peuple palestinien dans sa lutte contre plus de 76 ans de colonisation de peuplement. Les luttes victorieuses des peuples algérien ou haïtien nous permettent de comprendre que cette perspective est possible.

En ce sens, nous pensons plus que jamais nécessaire de participer à la mobilisation mondiale qui vise à délégitimer l’État d’Israël en tant que projet colonial et ainsi se mobiliser pour l’isoler sur la scène internationale. « Ce qu’ils doivent faire, c’est non pas reconnaître un État palestinien, mais retirer leur reconnaissance d’Israël. C’est la seule façon d’aboutir à un résultat antiraciste et démocratique décolonisé », résume l’universitaire palestinien Joseph Massad.

Pour cela, nous devons affirmer que les États impérialistes feront toujours partie du problème et pas de la solution. De la déclaration Balfour de 1917 jusqu’à l’armement du génocide à Gaza aujourd’hui, ils ont toujours soutenu l’État sioniste pour ce qu’il est : la base avancée de leurs intérêts dans la région. Au contraire, nous devons relayer et soutenir l’aspiration du peuple palestinien à la libération totale de sa terre tel qu’il l’a exprimé par plus de 100 ans de résistance contre l’impérialisme et le sionisme et enterrer définitivement la voie d’Oslo et de ses conséquences funestes.

 

Collectif Palestine Vaincra, 8 juin 2024

 

 

1 Le terme « bantoustan » désigne une enclave territoriale où des populations autochtones discriminées sont parquées après l’accaparement de leurs terres.