Plusieurs dizaines de personnes ont participé ce lundi 1er juillet à une belle soirée de solidarité au local Piquemil à Toulouse. Initiée par un duo d’auteur et d’autrice et avec le soutien des éditions Blast et Premiers Matins de Novembre, celle-ci était dédiée à la poésie et la littérature anti-impérialistes avec la participation du Collectif Palestine Vaincra. Cette rencontre était organisée notamment en réaction à la tentative — finalement avortée après une vague de mobilisation — de déprogrammer la Palestine de l’édition 2024 du Marché de la Poésie rappelant que ce genre littéraire est « situé et politique, un espace d’échanges, d’égalité des droits, de liberté de circulation, mais aussi un espace de revendication, militant, révolutionnaire ». La lecture d’œuvres s’est articulée autour de trois temps thématiques — le vol et la dépossession de la terre, l’emprisonnement, la résistance — construits à travers un dialogue de textes d’auteurs et autrices palestiniens avec une littérature anti-impérialiste venant de l’île de la Tortue jusqu’au Monde Arabe.

Rappelant que la lutte pour la libération de la Palestine est d’abord une résistance contre plus de 76 ans de colonisation de peuplement pour la libération du peuple palestinien et de sa terre, la lecture en arabe et en français a débuté par le poème Nous resterons là du Palestinien de 48 et auteur Taoufik Ziyad suivi de « Inscris, je suis arabe » du célèbre écrivain palestinien Mahmoud Darwish. Puis, un extrait du roman « Retour à Haïfa » de Ghassan Kanafani a été lu. Dans celui-ci, l’intellectuel et révolutionnaire palestinien décrit la brutalité du nettoyage ethnique d’Haïfa durant les 21 et 22 Avril 1948 par les milices sionistes ainsi que la volonté de ses habitants de lutter en vers et contre tout pour le retour sur leur terre.

Taoufik Ziyad
Nous resterons là

C’est comme si nous incarnions des dizaines d’impossibilités
À Lod, Ramla et en Galilée
Là… posés sur vos poitrines de tout notre poids, comme un mur,
Là, coincés dans vos gorges comme un éclat de verre, comme un cactus,
Dans vos yeux, comme des braises incandescentes.

Là… posés sur vos poitrines de tout notre poids, comme un mur,
Affamés… dénudés… entêtés,
Nous récitons des poèmes,
Dans les rues, des ras de marées de colère,
Là… remplissant des prisons entières de fierté.

Et nous faisons des enfants, des générations rebelles… les unes après les autres,
C’est comme si nous incarnions des dizaines d’impossibilités
À Lod, Ramla, Al Quds, Gaza et en Galilée.

Nous sommes ici pour y rester,
Carrelez donc la mer, ne vous en déplaise !
Nous sommes les gardiens de l’ombre des figuiers et des oliviers,
Nous semons des idées, comme la levure dans la pâte.

Calmes, posés, les nerds froids comme des glaciers,
Et dans nos cœurs… un enfer rouge.

Assoiffés, nous pressons la roche,
Affamés, nous dévorons la terre…
Nous sommes là pour y rester, nous sommes là, pour ne pas partir !
Nous ne serons pas avares de sang pur à déverser…
Avares, nous ne le serons pas… Avares, nous ne le sommes pas !

Ici et là… nous avons un passé… un présent… et un futur,
C’est comme si nous incarnions des dizaines d’impossibilités
À Lod, Ramla et en Galilée.

Enracinés, vivants, on s’accroche,
Accrochées, nos racines pourfendent les entrailles de cette terre qu’est la nôtre.
Que l’opprimé fasse ses comptes, avant que la roue ne tourne.
Et pour chaque acte… lisez
Tout ce que nos écrits ont affirmé : nous sommes ici pour y rester…

À la suite de ces trois lectures, nous avons eu le plaisir de découvrir des textes traitant de colonisation de peuplement, de racisme structurel et de résistance venant de l’île de la Tortue, terme utilisé par les militants pour les droits des peuples autochtones pour désigner l’Amérique du Nord :

    • Gloria Anzaldua, Terres frontalières – La frontera
    • bell hooks, Cultiver l’appartenance
    • Assata Shakur, Assata – une autobiographie
    • Joséphine Bacon, Uiesh Quelque part
    • Natasha Kanapé Fontaine, Manifeste Assi
    • Layli Long Soldier, Attendu que
    • Audre Lorde, La Licorne noire
    • Z’étoile Imma, Je transporte des explosifs, on les appelle des mots

La soirée s’est poursuivie autour de la lecture de textes sur la littérature carcérale témoignant le caractère central de l’emprisonnement de masse dans tout processus colonial, mais révélant aussi le rôle de la prison comme un espace collectif de politisation, de résistance et d’organisation pour les peuples colonisés. Tout d’abord, nous avons lu Ma liberté de Fadwa Touqan qui est appelée la « poétesse de la Palestine » dans tout le Monde Arabe.

Fadwa Touqan
Ma liberté

Et du côté des deux rives résonne :
Liberté, liberté…

Entre les courants du vent furieux, le tonnerre, les ouragans et la pluie de mon pays…
Tous le répètent avec moi !

Liberté, liberté, liberté.

Je ne cesserai de graver son nom, au plus profond de mes luttes,
Sur la terre, entre les murs et les portes, sur les balcons des maisons…
Dans les temples de la Vierge et les sanctuaires, sur les sentiers qui sillonnent nos champs,
Sur chaque colline et chaque pente, à chaque tournant de rue,
Du fond de nos cellules, sous la torture, perchés sur la potence…

Même enchaînés, face à et nos maisons rasées, malgré la chaleur des incendies,
Je continuerai à graver son nom,
pour la voir se propager, grandir sur tout le long de notre terre !

Grandir jusqu’à couvrir chaque centimètre de mon sol,
Jusqu’à ce que la liberté, rouge incandescente, défonce toutes les portes,
Défonce toutes les portes cadenassées.

Et la nuit s’enfuit et la lumière démolit les colonnes de brouillard…
Liberté, liberté, liberté.

Et la rivière sacrée et les ponts le répètent…
Liberté

Et du côté des deux rives résonne :
Liberté, liberté…

Un second texte de Salam Abou Charar a été lu avec beaucoup d’émotions. Cet extrait rend compte de l’histoire d’Israa Jaabis, prisonnière et mère palestinienne qui a été gravement brulée lors de son arrestation et victime d’une politique de négligence médicale délibérée. Ce passage exprime les souffrances de cette situation et de sa relation avec son fils malgré la séparation. Rappelons à cette occasion que son emprisonnement a suscité une campagne internationale importante de soutien. Par ailleurs, sa libération a été arrachée en novembre dernier suite à un échange de prisonniers durant la période de trêve à Gaza.

Il y a une douleur dans l’âme que rien ne peut apaiser, une douleur de se sentir impuissant, de ne pas pouvoir gérer ses affaires par soi-même, et de cacher toute cette souffrance, puis de laisser couler des larmes brûlantes dans une solitude désolée et un exil glacé dans la nuit des prisons ! Quelle chaleur dans la voix d’Israa, proche du coeur, rassurante, et combien elle semblait blessante et brûlante lorsque ses mots s’étouffaient quand elle parlait de Moatasem, si seulement vous saviez !

Plus d’une fois, je me réveillais et elle se tenait devant la porte avec la mère de Moussa, elle était un soutien indéféctible pour Isra quand elle lui parlait de ses envies empreintes de larmes et de douleur, de Moatasem, de la maison, des frères et de la famille. Elle s’étouffait de ses pleurs, et son coeur se serrait de toute cette amertume, et c’est une sensation que, peu importe les efforts d’un écrivain ou d’un poète pour la décrire, n’y parviendrait pas.

Lorsque les visites approchaient, elle se demandait souvent comment serait sa rencontre avec Moatasem. À quoi ressemblerai-je pour mon enfant ? Me reconnaîtra-t-il après tout ce temps ? Et mon Dieu ! Comme mon coeur se brisait de douleur lorsqu’elle disait : « Il va me voir comme un gorille ? » Une fois, j’avais décidé de ne pas me laisser aller à la douleur. Ce que je craignais le plus pour elle, c’était que cette idée ne l’envahisse. Je crois fermement que les enfants, qui sont l’essence même du coeur de leurs mères, une partie de leurs âmes, puisent en elles la force, la sécurité et la vie, et leur rendent en échange : l’amour et la vie.

Brisant mon silence, je lui ai dit : « Israa ! Moatasem est ton fils. S’il ne te reconnaît pas par ton apparence, il te reconnaîtra par le coeur. Tu resteras pour lui, instinctivement, la plus belle et la plus chaleureuse des personnes… Crois-moi, Moatasem te reconnaîtra avec son coeur et il te verra toujours aussi belle. » Elle m’a répondu à ce moment-là : « Tu veux dire qu’il m’aimera comme ça ? » Mon coeur se tordait de douleur, poignardé, il chavirait comme un mourant à l’heure de l’agonie, essayant de s’accrocher à la vie autant qu’il le pouvait, malgré la mort qui l’enserre comme un monstre féroce, et il continue de lutter jusqu’à la dernière seconde.

J’ai senti qu’un espoir commençait à fleurir dans son coeur, mais Moatasem n’est pas venu, visite après visite, plus de deux ans de détention pour Isra. Deux ans ! La mère sans son fils et le fils sans sa mère, quelle douleur, ô Dieu… quelle douleur !

Un troisième texte extrait de La Trinité des principes de Wissam Al Rafidi a également été lu. Dans celui-ci, l’auteur décrit la brutalité de l’arrestation d’un combattant palestinien vivant en clandestinité durant 10 ans. Ce texte inspiré de sa vie personnelle fait écho au vécu de chaque Palestinien lors de leurs interpellations qui constituent une réelle invasion de leur intimité, avec toutes les tentatives de les dépouiller de leur dignité, leur identité ainsi que de leur volonté de vie et de résistance.

Cet échange autour de la littérature carcérale s’est prolongée autour de la lecture de textes d’autrices et d’auteurs d’Algérie, du Maroc ou encore du Liban témoignant de la vivacité des luttes anticolonialistes et anti-impérialistes dans ces pays ainsi que le lien indissoluble qui les unit avec la cause palestinienne, véritable incarnation d’un combat commun contre l’impérialisme, le sionisme et les régimes réactionnaires arabes.

    • Laadi Flici, La Démesure et le royaume
    • Maya Abu-Alhayyat, Robes d’intérieur et guerres
    • Emné Nasereddine, La Danse du figuier
    • Saïda Menebhi, Les bras chargés de fusils, la tête de poèmes
    • Anna Greki, Juste au-dessus du silence
    • Mohamed Boudia, Œuvres

Enfin, la soirée s’est conclue avec la lecture de plusieurs textes sur la centralité de la résistance dans la lutte pour la libération de la Palestine de la mer au Jourdain. Tout d’abord, nous avons lu le poème Aucune réconciliation du poète égyptien Amal Dunqul qui a été écrit avant les accords de normalisation de Camp David entre l’Égypte et l’État sioniste comme un appel à refuser la voie de la reddition. Pour clôturer ce beau moment autour de la littérature anti-impérialiste, nous avons lu J’ai maintenant un fusil, célèbre poème de l’auteur syrien Nizar Qabbani qui a été interprétée par la chanteuse égyptienne Oum Kalthoum. L’auteur fait l’éloge de la résistance en réaffirmant qu’elle est le « seul et unique chemin » menant à la liberté.

Par ailleurs, plusieurs centaines d’euros ont pu être récolté durant la soirée permettant d’apporter un soutien essentiel à un projet d’entraide à Gaza alors que l’enclave palestinienne fait face à une terrible offensive génocidaire. Parallèlement, un atelier d’écriture aux prisonnières palestiniennes était également proposé permettant de participer à rompre l’isolement qu’impose leur détention. Cette soirée fut ainsi l’occasion de mettre en évidence que « la poésie palestinienne est intimement liée à la résistance. La poésie, ici aussi, dans le centre impérialiste français, est politique, un outil de lutte et de soutien aux autres luttes » comme le soulignait l’appel à cet événement.