Au moment où le génocide perpétré par Israël à Gaza entre dans son dixième mois, le projet colonial sioniste ne cesse d’aller de l’avant dans la Palestine historique.

Le Bureau des droits humains de l’ONU tire la sonnette d’alarme à propos de l’accélération du vol de terre par Israël en Cisjordanie occupée, un vol qui est exacerbé par le déplacement forcé de Palestiniens via la violence des colons, les démolitions de maisons et les nombreuses restrictions d’accès.

« La situation en Cisjordanie occupée est un problème qui soulève de graves inquiétudes du fait qu’Israël permet et facilite un environnement caractérisé par la crainte en chassant de force les communautés de leurs foyers et de leurs terres », a déclaré le bureau de l’ONU.

Les colons, poursuivait la déclaration, « agissant avec la protection et le soutien des forces sécuritaires israéliennes, intensifient leurs attaques violentes à l’encontre des communautés d’éleveurs des Est qui ont été encerclées par des colonies et des avant-postes ».

Le prétendu cabinet sécuritaire d’Israël a approuvé la légalisation de cinq « avant-postes » de colons.

Alors que, d’après les lois internationales, toutes les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée sont illégales et que leur mise en place constitue un crime de guerre, ce qu’Israël entend par « avant-poste » est souvent installé sans même la permission de l’État et est considéré comme illégal par la législation israélienne même.

Dans leur stade initial, ces avant-postes comptent généralement un petit nombre de colons des plus extrémistes qui se rassemblent dans une certaine zone avec quelques caravanes ou structures qui, souvent, ne sont même pas raccordées à l’eau et à l’électricité.

Bezalel Smotrich, le ministre israélien des Finances, de l’ultra-extrême droite, tente de rationaliser le processus de légalisation et de reconnaissance des avant-postes selon les lois israéliennes en leur fournissant des services de base et en concrétisant les faits sur le terrain.

Tout en s’employant à légaliser  plus de 60 avant-postes en Cisjordanie occupée, Smotrich instruit aujourd’hui les ministères de les placer « sur un même pied juridique que les colonies régulières », a rapporté The Times of Israel.

Lors d’une conférence privée du Parti sioniste religieux qui s’est tenue dans un avant-poste de peuplement près de Qalqilya, en Cisjordanie occupée, Smotrich a discuté de la création d’une « voie de contournement de la légalisation » pour les avant-postes, en les finançant et en leur fournissant des services, s’il faut en croire l’organisation de surveillance des colonies, Peace Now, qui a obtenu un enregistrement de la conférence.

Smotrich a expliqué comment ce qu’il appelait des « avant-postes agricoles » allaient préparer la voie à la reprise de la terre palestinienne.

« Les avant-postes agricoles sont un outil méga-stratégique pour la protection des terres », a-t-il dit, d’après Peace Now.

« Nous n’avons pas inventé la roue. Dans l’État d’Israël, le pâturage a toujours été l’outil le plus efficace pour préserver les terres », a-t-il ajouté.

« Vous prenez un fermier, un millier de têtes de bétail, quinze centimes d’investissement et cela vous protège 40 000 dounams (4 000 hectares, NdT). Un outil qui, comme tout le reste dans les colonies, a commencé depuis le bas de l’échelle. »

Smotrich dit « à haute voix ce que Netanyahou tente de dissimuler », a déclaré Peace Now.

« Alors que tous les yeux sont fixés sur ce que le gouvernement israélien fait à Gaza, ils poursuivent activement aussi l’annexion de la Cisjordanie », a ajouté l’organisation.

« Depuis le début de la guerre, plus de deux douzaines d’avant-postes ont été établis et un nombre similaire de communautés palestiniennes ont été déplacées de force. »

 

Le vol de terre

Le mois dernier, Israël annonçait tranquillement l’une des plus grandes saisies de terre par l’État depuis la signature des accords d’Oslo, au milieu des années 1990, a rapporté Peace Now.

Cette saisie impliquait 12 700 dounams (12,7 kilomètres carrés) dans la vallée du Jourdain, lesquels étaient déclarés « terres d’État » par le Gardien des biens de l’État au sein de l’Administration civile, le bras bureaucratique de l’occupation militaire israélienne.

Déclarer de la terre palestinienne « terre de l’État » constitue une manœuvre juridique visant à confisquer de la terre appartenant à des Palestinien en interprétant une loi ottomane qui était utilisée dans un contexte totalement différent voici près de deux siècles.

Cette tactique permet à Israël de contourner la légalité technique de la propriété de terre, puisque « la majeure partie des terres détenues en propriété privée en Cisjordanie ne sont pas enregistrées officiellement ». « La déclaration de terre de l’État est l’une des principales méthodes par lesquelles l’État d’Israël cherche à affirmer son contrôle de la terre dans les territoires occupés », dit l’organisation.

Cette méthode équivaut à « des mesures ouvertes qui pourraient faciliter l’annexion de terre palestinienne en violation du droit international », a déclaré le bureau des droits humains de l’ONU.

La terre de l’État nouvellement déclarée jouxte un autre territoire saisissable qui avait été désigné comme terre de l’État un peu plus tôt cette année, créant ainsi une « continuité territoriale » entre les colonies de la région de la vallée du Jourdain, comme on peut le voir ici :

Cette continuité constitue précisément le but de l’affaire.

« Je vous dis que, vraiment, ceci est la révolution importante si, en cinq, six ou sept ans, il est possible d’aller n’importe où à Mateh Binyamin, en Samarie, dans la vallée du Jourdain en quinze minutes par une route à deux bandes », a déclaré Smotrich lors de la conférence.

« C’est une révolution », a-t-il poursuivi, « voilà comment vous allez amener un million de personnes [en Cisjordanie]. »

L’actuel gouvernement a également fait passer de l’armée à des institutions civiles l’autorité sur le travail bureaucratique et juridique relatif aux déclarations de peuplement, rationalisant de la sorte le processus du vol de terre.

Peace Now a qualifié la chose de « violation flagrante du droit international ».

Lors de la conférence de juin, Smotrich y est allé de cette déclaration mot pour mot.

« Cette affaire est méga-stratégique et nous investissons beaucoup dedans », a-t-il dit.

« Nous pouvons produire beaucoup plus de capacité de travail, beaucoup plus d’arpentage [de terres], plus de déclarations [de terres], plus de plans, plus de tout ce qu’on veut. C’est quelque chose qui va modifier considérablement la carte. »

Smotrich a expliqué que la déclaration de terres de l’État en 2024 allait atteindre « en gros dix fois la moyenne des années précédentes », estimant que, pour la fin de l’année, « entre 10 000 et 15 000 dounams supplémentaires seront déclarés [en tant que terres de l’État] ».

Israël a déjà déclaré près de 24 000 dounams (24 kilomètres carrés) en tant que terres de l’État en Cisjordanie occupée, et l’année est encore loin d’être terminée.

 

Les déplacements forcés

Alors que, sur un front, Israël vole des terres aux Palestiniens, il les chasse de leurs maisons et démolit leur propriété sur un autre front.

Depuis le 7 octobre, Israël a démoli, confisqué ou forcé la démolition de près de 1 120 structures appartenant à des Palestiniens, dont 38 pour 100 étaient des bâtiments résidentiels.

Ces démolitions ont chassé de chez eux plus de 2 500 Palestiniens, dont près de la moitié sont des enfants, d’après l’organisation de contrôle de l’ONU, l’OCHA.

L’organisation a dit que plus de la moitié des personnes déplacées avaient été chassées au cours d’opérations militaires, particulièrement à Jénine et à Tulkarem dans le nord et aux alentours des camps de réfugiés.

Plus de 40 pour 100 de ces démolitions ont eu lieu sous le prétexte que les Palestiniens avaient bâti sans permis.

Israël refuse d’autoriser pour ainsi dire toute construction palestinienne en Zone C, c’est-à-dire sur 60 pour 100 de la Cisjordanie occupée, selon les termes des accords d’Oslo. Cela oblige les résidents de construire sans permis et de vivre dans la crainte constante d’une démolition.

Et ces chiffres ne tiennent pas compte des Palestiniens qui ont été déplacés de force suite à la violence des colons ou aux restrictions d’accès, c’est-à-dire plus de 230 ménages ou près de 1 400 Palestiniens, dont plus de 660 enfants.

Les colons israéliens menacent les Palestiniens à la pointe de leurs fusils, vandalisent leurs propriétés, les empêchent d’accéder à l’eau, détruisent leurs arbres, endommagent leurs véhicules, volent leurs biens, les intimident et les agressent physiquement.

« En sus des démolitions organisées par l’Administration civile israélienne, ces agression forcent les Palestiniens à quitter leurs terres », a déclaré le bureau des droits humains de l’ONU.

« Cela, à son tour, aide la consolidation et l’expansion des colonies et avant-postes israéliens dans les zones. »

Depuis le 7 octobre, les colons se sont livrés à plus de 1 080 agressions contre des Palestiniens, a calculé l’OCHA, provoquant en même temps des blessures chez les Palestiniens et des dégâts à leurs propriétés.

Au moins 46 500 arbres ou jeunes plants appartenant à des Palestiniens ont été détruits par des gens dont on sait ou croit qu’ils sont des colons.

 

L’objectif général, c’est le colonialisme de peuplement

Le 11 juillet, les États-Unis annonçaient des sanctions contre plusieurs avant-postes installés en Cisjordanie occupée, ainsi que contre certains individus perçus comme extrémistes et contre Lehava, une organisation extrémiste.

« Nous imposons des sanctions à quatre avant-postes appartenant à – ou contrôlés par – des individus désignés par les Etats-Unis et qui s’en sont servis comme bases d’actions violentes en vue de déplacer des Palestiniens », a déclaré Matthew Miller, le porte-parole du département d’État américain.

Miller a dit que les avant-postes israéliens « semaient la pagaille dans les pâturages, limitaient l’accès aux puits et lançaient de violentes attaques contre les Palestiniens des environs ».

Ces propos viennent après de précédentes déclarations des Etats-Unis et d’autres alliés d’Israël qui ont constamment soutenu ses actions à Gaza tout en punissant une poignée de colons et leurs organisations.

Mais tout cela n’était qu’une vulgaire digression.

La notion selon laquelle la violence des colons est provoquée par un petit nombre de pommes pourries est non seulement fallacieuse, elle met également de côté l’importance centrale de la violence des colons pour le projet colonial de peuplement d’Israël.

Les colons n’agissent pas en tant qu’individus mais au nom d’un État dont l’objectif est le vol et le contrôle total de toute la terre de la Cisjordanie.

Ils constituent la piétaille de l’État et de sa politique et ils estiment même que l’administration Biden ne va pas assez loin dans le soutien de leur mission coloniale.

Lehava a brutalement qualifié le président américain Joe Biden de « sénile et antisémite » et l’a mis dans le même sac que d’autres « ennemis » d’Israël.

Les nouvelles des sanctions américaines ont été révélées alors que les ministres des Affaires étrangères des principales puissances occidentales constituant le « Groupe des 7 (G7) dénonçaient également l’expansion des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée, en disant qu’elle « était contre-productive vis-à-vis de la cause de la paix ».

En raison de son échelle étonnante et de sa magnitude, le génocide d’Israël à Gaza a détourné l’attention, de la Cisjordanie occupée, facilitant le vol par l’État de terres palestiniennes, avec les colons juifs sur les lignes de front de cette violence.

Enfin, l’effort jusqu’à présent futile d’Israël en vue de concrétiser son but déclaré d’élimination du Hamas dans la bande de Gaza s’aligne sur son objectif plus large de supprimer toute résistance à sa violence coloniale de peuple dans toute la Palestine historique.

Même si Israël utilise l’Autorité palestinienne et ses forces sécuritaires en tant que sous-traitants en Cisjordanie, la résistance armée s’est épanouie en des cellules plus réduites et répandues dans les camps de réfugiés, dans les villes et les villages.

Les colons et certains ministres israéliens peuvent rêver tout haut de réaménager la bande de Gaza, mais leur attention prioritaire reste fixée sur un territoire plus vaste, qui constitue un cinquième de la Palestine historique : la Cisjordanie occupée.

 

Article de Tamara Nassar, rédactrice associée de The Electronic Intifada, paru initialement le 13 juillet 2024

 

Source : The Electronic Intifada – Traduction : Plateforme Charleroi-Palestine