Samedi 31 août à Toulouse, le Collectif Palestine Vaincra était invité à une après-midi – soirée contre la répression organisée notamment par la Défense Collective.  A cette occasion, nous avons participé à une table ronde sur la répression en contexte colonial. Nous reproduisons ci-dessous notre intervention faite dans ce cadre.

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Lorsque nous parlons de « répression en Palestine », nous sommes obligés d’évoquer une de ses pierres angulaires : le système carcéral colonial israélien. Pour pouvoir l’aborder, nous devons rappeler une évidence : ce qui se passe en Palestine est un processus de colonisation de peuplement. Comme dans tous les processus de colonisation en général, de peuplement en particulier, la prison est une arme privilégiée du pouvoir colonial. Comme ce fut le cas en Algérie ou en Irlande par exemple, comme c’est le cas aujourd’hui en Kanaky. L’enferment de masse est primordial pour maintenir le contrôle sur les populations autochtones.

En ce qui concerne la Palestine, plus d’un million d’individus ont été emprisonnés depuis 1948, date de l’instauration officielle de l’État sioniste. L’emprisonnement est une réalité qui touche presque toutes les familles palestiniennes. 40% des Palestiniens vivant en Cisjordanie et à Jérusalem ont passé du temps dans les prisons israéliennes. C’est à dire que chaque individu en Palestine est marqué par la prison, pour l’avoir connu personnellement ou à travers un membre de sa famille. Evidemment, il est important de souligner que ce sont les enfants des classes populaires, en particulier la jeunesse des camps de réfugiés, qui constituent la majorité des prisonniers. « Notre relation avec la prison est celle d’une tentative constante de nous apprivoiser et de nous aliéner » résume ainsi la prisonnière palestinienne Layan Kayed dans une lettre adressée à sa famille en 2020.

Le système carcéral israélien est directement hérité du colonialisme britannique : juridiction militaire pour la population palestinienne, utilisation massive de la détention administrative (emprisonnement sans inculpation ni jugement pour une période de 6 mois, renouvelable à l’infini). Des techniques de torture sont définies et appliquées par Israël qui enferme également des enfants à partir de 12 ans. Il y aurait aujourd’hui près de 300 mineurs palestiniens emprisonnés. Ajoutons à cette liste, la politique de négligence médicale. Parmi de nombreux cas, le prisonnier Walid Daqqah, atteint d’un cancer, est décédé en prison faute de soin. Enfin, l’occupation israélienne continue l’emprisonnement des corps après la mort : 256 martyrs palestiniens sont détenus dans des “cimetières des nombres” où les Palestiniens sont enterrés avec des numéros et non avec leurs noms, tandis que 296 autres sont détenus dans les morgues de l’occupation depuis 2015. Parmi eux figurent 14 enfants, 5 femmes et 32 martyrs du mouvement des prisonniers.

Depuis le début du génocide à Gaza, les conditions d’enfermement se sont fortement détériorées : le niveau de violence des gardiens est beaucoup plus important qu’il y a 11 mois. Les prisonniers palestiniens sont entassés à 10/12 personnes dans des cellules prévues pour la moitié. Une politique de famine est mise en place et les prisonniers libérés sortent très amaigris et affaiblis. Les prisons sont dans un état d’isolement quasi complet : les journaux, radio, télé et appareils électroniques sont confisqués, les avocats parviennent à faire leurs visites, avec difficulté, dans certaines prisons mais dans d’autres les gardiens menacent les prisonniers et font pression sur ces derniers pour les dissuader de demander la visite d’un avocat. Les visites familiales sont interdites depuis octobre et certaines familles sont sans nouvelles de leurs proches.

De plus, les prisonniers de Gaza sont pour la plupart soumis au régime de « combattants illégaux », c’est à dire traité hors des conventions internationales pour les prisonniers de guerre. Ainsi des camps d’internements ont vu le jour. Des milliers de personnes sont incarcérés dans ces bases militaires transformées en camp de détention. Entravés et menottés 24h/24, les yeux bandés la majorité de la journée, les prisonniers sont tabassés au moindre geste, à la moindre demande. Ils sont forcés de rester immobiles, agenouillés à même le sol. Plusieurs témoignages de journalistes et de prisonniers libérés parlent de viols et d’autres agressions sexuelles, dont au moins un viol qui aurait causé la mort d’un prisonnier. Dans ces camps, les prisonniers malades ou blessés ne reçoivent aucun soin adapté. Ils sont entassés dans des hangars, attachés à leurs brancards, nus, équipés de couches pour ne pas avoir à les déplacer. On estime que plus de 20 prisonniers seraient tombés martyrs dans les prisons coloniales et 35 dans les camps de détentions militaires, assassinés par la torture et le manque de soin. Ces chiffres ne comprennent pas les personnes retrouvées dans des fosses communes ou dans des immeubles de Gaza, exécutées par l’armée coloniale alors que leurs membres étaient entravés et leurs yeux bandés.

Parmi ces milliers de personnes emprisonnées, on compte environ 86 femmes emprisonnées dans des conditions particulièrement difficiles dans la prison de Damon. Elles représentent l’ensemble de la société palestinienne : ce sont des mères, des sœurs, des épouses, des travailleuses de la santé, des étudiantes ou encore des avocates. Tout comme les hommes, elles se mobilisent collectivement pour faire face aux conditions de détention particulièrement difficiles comme l’illustre la récente déclaration de Khalida Jarrar placée à l’isolement. Mais, l’administration pénitentiaire utilise le patriarcat et leur oppression spécifique en tant que femmes pour tenter de les briser et les isoler comme les mises à nu, les agressions sexuelles qui arrivent parfois devant la famille, etc. Une campagne « Démanteler Damon » a vu le jour récemment. Elle a pour but de visibiliser les conditions des prisonnières, leur histoire et leur combat. N’hésitez pas à rejoindre la campagne. Et on rappelle qu’il y a la possibilité d’écrire aux prisonnières palestiniennes aujourd’hui.

Si le système carcéral israélien est terrible pour les Palestiniens, il serait faux de voir ces derniers comme uniquement des victimes d’un système profondément déshumanisant. La révolution palestinienne a su transformer ces endroits terribles en écoles de la révolution. « Notre sacrifice en prison a un sens lorsqu’il peut produire des fruits pour les opprimés et la libération de nos peuples. Notre lutte doit avoir un impact matériel sur la vie des gens » résume Ahmad Sa’adat, sécrétaire général du FPLP emprisonné.

D’innombrables luttes collectives ont permis d’arracher de nouveaux droits et d’établir un rapport de force, comme par exemple le fait que les prisonniers sont aujourd’hui auto-organisés dans les prisons. « Ce mode de représentation interne comprend des élections au sein des branches-prisons des partis qui sont en interaction avec les partis Dehors et participent à la vie et aux élections partisanes via des systèmes de communication clandestins. Le militantisme en prison constitue une étape déterminante de la carrière partisane et l’ascension au sein des factions est en retour un motif central d’arrestation. Chaque faction élit tous les ans, ou tous les deux ans, un responsable qui fait partie du Comité national général de la prison, et le parti majoritaire élit pour une année ou deux le représentant de l’ensemble des détenus de chaque prison. Les détenus peuvent par ailleurs se présenter aux élections nationales palestiniennes Dehors qu’il s’agisse des législatives ou de la présidentielle, tels qu’on l’a vu avec Ahmed Saadat, élu député du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) depuis la prison ou avec Marwan Barghouti qui entend se porter candidat aux prochaines présidentielles » souligne la chercheuse Stéphanie Latte Abdallah.

Par ailleurs, les prisonniers organisent des cycles de formation, en particulier pour les plus jeunes générations, ainsi que des cercles de lecture et étudient des livres comme « Ecrits sous la potence » du communiste tchécoslovaque Julius Fucik ou encore des auteurs irlandais et algériens. Lors d’un récent webinaire d’Urgence Palestine, l’ancien prisonnier palestinien Salah Hamouri affirmait que “Le défi du mouvement des prisonniers c’est de faire en sorte que les jeunes prisonniers, qui arrivent en prison parce qu’ils ont agi sous le coup d’une émotion, sortent avec une vision politique construite, et pas juste un ressentiment. C’est trouver comment changer leurs émotions en idées politiques et solidifier leur engagement dans la résistance.”

Une importante production littéraire est issue des prisons : nombreux poèmes, romans et écrits politiques ont été produits dans les prisons de l’occupation par des écrivains qui ont acquis une renommée importante, à l’image de Walid Daqqah qui a reçu plusieurs prix littéraires pour son travail. Pour ne citer que cet exemple, toute une théorie est issue des années 70 du milieu carcéral palestinien : le Sumud face à la torture hérité de la figure d’Ibrahim Al Rai. Membre du FPLP, il a été tué sous la torture par ses geôliers israéliens dans les cellules d’interrogatoire où il a été détenu et torturé pendant plus de 10 mois d’isolement, le 11 avril 1988, sans jamais dire un mot. Il est considéré comme le Bobby Sands du mouvement des prisonniers palestiniens, symbole non seulement des prisonniers mais de l’engagement de tout un peuple à résister au colonialisme. Son expérience a inspiré toute une génération de Palestiniens, les incitant à refuser d’avouer sous la torture, et le slogan « Résister, résister comme al-Rai » s’est popularisé comme un appel à la conscience collective palestinienne qui refuse de se briser ou de plier.

Ainsi, le prisonnier est une composante importante de la résistance palestinienne. Car ce sont ceux et celles qui organisent les étudiants ou les femmes, qui participent à des organisations de travailleurs et d’agriculteurs, etc. qui font face à l’enfermement. Ce sont celles et ceux qui ont menés la lutte – notamment armée – face à l’occupation qui se retrouvent en prison. Pour citer le prisonnier palestinien Bilal Kayed, « les prisonniers sont les combattants d’hier et les leaders de demain ».

Et comme partout dans le monde, le passage en prison ne signifie aucunement la fin de la lutte. Ainsi, les prisonniers palestiniens ont mené de nombreuses mobilisations : des luttes collectives contre leur conditions de détention, de la fermeture de leurs sections à des grèves de la faim. Je voudrais ici rappeler le cas de Khader Adnan. Arrêté à 12 reprises par l’occupation, il avait arraché sa libération à plusieurs reprises suite à des dures grèves de la faim. Il est décédé le 2 mai 2023 après 86 jours de grève de la faim en raison de la politique criminelle de l’occupation israélienne.

Un autre exemple méconnu de la résistance des prisonniers est ce que l’on appelle les « ambassadeurs de la liberté », c’est-à-dire les enfants de prisonniers qui sont conçus grâce à leur sperme qui sort illégalement des prisons. Plusieurs prisonniers et leurs familles ont eu recours à cette méthode, dont Walid et Sanaa Daqqah qui ont eu leur petite fille Milad de cette manière. Cette résistance apparue en 2012 est largement soutenue par la société palestinienne et l’ensemble de ses composantes car c’est une manière de défier les restrictions carcérales. Des enfants qu’évidemment Israël refuse de reconnaitre et donc prive les pères de la visite de leur enfant.

La lutte des prisonniers palestiniens s’incarne également par des évasions spectaculaires. Cela démontre que même face à un système d’enfermement ultra sophistiqué, la lutte pour la liberté est bien plus forte. Parmi les nombreuses évasions réussies dans l’histoire du mouvement des prisonniers palestiniens, nous voulons souligner celle menée par six Palestiniens de la prison centrale de l’occupation israélienne à Gaza en mai 1987 qui sera l’une des étincelles de la grande Intifada populaire de 1987. De la même manière, six autres prisonniers palestiniens se sont évadés de la prison de haute sécurité de Gilboa le 6 septembre 2021 soulignant ainsi au monde entier la faillibilité de l’emprisonnement colonial.

Enfin, les prisonniers palestiniens sont l’image du rapport de force établi entre la résistance d’un peuple et la force occupante. Avant le 7 octobre, environ 5000 hommes, femmes et enfants étaient détenus par l’occupation israélienne. Aujourd’hui, il y a plus de 10 000 Palestiniens détenus dans les prisons et centres d’internement. A chaque cycle d’intensification de lutte face à la violence coloniale, les prisons de l’occupation se remplissent et rappellent une nouvelle fois que les prisonniers sont d’abord et avant tout des leaders de la résistance du peuple palestinien. En d’autres termes, s’il y a des prisonniers c’est parce qu’ils résistent !

Face à cette situation, la société palestinienne et ses organisations ne les oublient pas. Par exemple, les échanges de prisonniers sont régulièrement au coeur des négociations avec l’occupation israélienne tant leur libération est une manière de consolider et renforcer, grâce à leurs expériences et leur leadership, la lutte de tout un peuple. Les échanges ont eu lieu pour la première fois le 23 juillet 1968 quand le FPLP a détourné un avion Rome-Tel Aviv permettant de libérer 37 prisonniers en échange des passagers. Depuis, ils ont été menés par la plupart des organisations palestiniennes et ont permis de libérer plus de 8000 prisonniers. Parmi les derniers échanges, on peut citer celui de 2011 qui a permis de libérer 1027 prisonniers, dont Salah Hammouri, en échange de la libération du soldat franco israélien Gilad Shalit qui était détenu à Gaza. Ou encore la libération de quasi toutes les prisonnières palestiniennes dans le cadre de l’accord d’échange durant la trêve à Gaza de novembre 2023. Aujourd’hui, c’est un point central des discussions autour d’un accord de cessez-le-feu à Gaza.

C’est pour toutes ces raisons que nous répétons incessamment que soutenir la Palestine passe par soutenir les prisonniers palestiniens. Et ce précepte résonne encore plus fort en France, où nous militons. Comme vous le savez, le communiste arabe Georges Abdallah y est enfermé depuis 40 ans. Georges est reconnu par le mouvement des prisonniers palestiniens comme un des leurs. Ce n’est pas un hasard si l’État français s’acharne contre ce résistant qui refuse de céder au chantage au reniement. Soutenir Georges Abdallah c’est donc une manière directe et concrète de soutenir la Palestine et le combat pour sa libération ! Par ailleurs, nous ne devons pas oublier les autres prisonniers palestiniens enfermés hors de la Palestine occupée, que ce soit aux Etats-Unis, en Égypte ou en Arabie Saoudite. Leur emprisonnement souligne que le peuple palestinien doit faire face non seulement au sionisme et à l’Etat sioniste mais également à l’impérialisme et aux régimes réactionnaires arabes. Alors ici à Toulouse, nous devons plus que jamais comprendre et populariser le fait que soutenir la libération des prisonniers palestiniens c’est soutenir la résistance de tout un peuple qui se bat pour sa libération et celle de sa terre, de la mer au Jourdain.