Les organisations palestiniennes de défense des droits humains déclarent que la nouvelle législation israélienne interdisant à une agence de l’ONU de fournir ses services aux Palestiniens sous occupation « s’aligne sur un modèle plus large d’intention génocidaire de la part d’Israël ».

Lundi, la Knesset (le parlement israélien) a adopté à la quasi-unanimité deux projets visant à interdire à l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine, d’opérer en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

L’une des lois interdit aux autorités de l’État d’avoir le moindre contact avec l’UNRWA, qui fournit des services élémentaires de santé, d’éducation et autres à des millions de réfugiés palestiniens des territoires occupés ainsi qu’en Jordanie, en Syrie et au Liban.

« La législation met également un terme – avec effet immédiat – à l’accord de 1967 entre Israël et l’UNRWA », disent trois éminentes organisations palestiniennes des droits humains : Al-Haq, Al Mezan et le Centre palestinien pour les droits humains (CPDH).

La deuxième loi interdit à l’agence d’opérer en prétendu territoire israélien et « entrera en vigueur trois mois après l’adoption des deux lois – c’est-à-dire vers la fin janvier 2025 », ont déclaré les organisations des droits humains.

Si elles sont appliquées, les nouvelles lois fermeront le siège de l’UNRWA à Jérusalem-Est, qu’Israël occupe illégalement depuis 1967 et a annexé en violation des lois internationales. Le siège de l’UNRWA à Jérusalem constitue le centre administratif de ses opérations en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

Selon des rapports des médias, Israël prévoit de construire des colonies sur le site du siège de l’UNRWA, dont les autorités de l’État ont déjà ordonné l’évacuation en mai.

Benjamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, a l’autorité de suspendre la législation. Mais il est peu probable qu’il le fasse, malgré les pressions internationales, spécialement après que son ministre des Affaires étrangères a déclaré qu’António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, était persona non grata en Israël.

L’hostilité sans limite d’Israël à l’égard des Nations unies ne fera que s’intensifier à chaque tentative en vue de réclamer des comptes par le biais des diverses institutions de l’organisation mondiale.

Mercredi, le Conseil de sécurité de l’ONU a sorti une déclaration confirmant son soutien à l’UNRWA et mettant en garde « contre toutes tentatives en vue de supprimer ou de réduire les opérations et le mandat de l’UNRWA ».

 

« La criminalisation de l’aide humanitaire »

 

Trois éminentes organisations palestiniennes des droits humains – Al-Haq, Al Mezan et le CPDH – ont déclaré que l’adoption de ces lois faisait partie d’une « campagne calculée, longue de plusieurs décennies, visant à démanteler l’UNRWA et à annuler le droit inaliénable au retour des réfugiés palestiniens. »

« Aujourd’hui plus que jamais, alors que le génocide d’Israël contre Gaza bat son plein, le rôle de l’UNRWA est non seulement essentiel, mais irremplaçable », ont ajouté les organisations.

La nouvelle législation « équivaut à la criminalisation de l’aide humanitaire et elle aggravera plus encore une crise humanitaire déjà catastrophique », a déclaré mardi Agnès Callamard, la directrice d’Amnesty International.

Joyce Msuya, la responsable ad interim des secours de l’ONU, a qualifié « cette décision de dangereuse et scandaleuse ».

« Si l’UNRWA est mise dans l’impossibilité d’agir, on assistera vraisemblablement à l’effondrement du système humanitaire à Gaza », a prévenu James Elder, porte-parole de l’UNICEF, l’agence de l’ONU pour les enfants.

« Une telle décision signifie brusquement qu’on a découvert un nouveau moyen de tuer des enfants. »

Des responsables de l’ONU disent que la décision d’interdire l’UNRWA équivaut à une punition collective – un crime de guerre – pour l’implication supposée d’une poignée de membres du personnel de l’agence dans l’attaque du 7 octobre 2023 contre des bases militaires et des colonies israéliennes situées dans la périphérie de la bande de Gaza.

« L’application des lois pourrait avoir des conséquences dévastatrices pour les réfugiés palestiniens » de Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et de la bande de Gaza, a estimé le secrétaire général de l’ONU.

Une législation nationale ne peut modifier les obligations d’Israël reprises dans la charte de l’ONU et dans les lois internationales, a ajouté Guterres.

L’UNRWA est l’agence qui laisse la plus large empreinte humanitaire en Cisjordanie et à Gaza et elle est l’un des plus importants employeurs des territoires palestiniens occupés.

« Démanteler l’UNRWA aura un impact catastrophique sur la réponse internationale à la crise humanitaire à Gaza », a déclaré ce mardi Philippe Lazzarini, directeur de l’UNRWA, dans une lettre adressée au président de l’Assemblée générale.

« Cela va également saboter toute chance de régénération. »

En l’absence de toute autre entité susceptible de fournir des services de style public, l’interdiction réelle de l’UNRWA va laisser plus de 660 000 enfants de Gaza sans le moindre enseignement.

« Une génération entière d’enfants sera sacrifiée », a déclaré Lazzarini.

Les organisations palestiniennes des droits font remarquer que 2,4 millions de réfugiés palestiniens en Cisjordanie et à Gaza « seront privés de services essentiels – particulièrement dans l’enseignement et les soins de santé – que seule l’UNRWA a le mandat et la capacité de fournir ».

 

Des membres du personnel de l’UNRWA tués et torturés

 

Abordant les allégations d’Israël, Lazzarini a déclaré que, depuis 15 ans, sur base annuelle, l’UNRWA fournissait à Israël une liste de son personnel. Des membres de ce personnel, à propos duquel Israël n’a jamais exprimé la moindre inquiétude, sont désormais repris sur ses listes de combattants présumés, a-t-il ajouté.

Les demandes de preuves répétées adressées au gouvernement israélien à propos de ces allégations contre l’UNRWA n’ont jamais reçu la moindre réponse, a encore dit Lazzarini.

« L’UNRWA se trouve par conséquent dans la position injuste d’être incapable de répondre à des allégations pour lesquelles elle ne dispose pas de preuves, alors que ces allégations continuent d’être utilisées pour saper l’agence », a-t-il poursuivi.

Et d’ajouter qu’au moins 237 membres du personnel de l’UNRWA ont été tués à Gaza et que plus de 200 de ses sites ont été endommagés ou détruits lors d’attaques qui ont tué plus de 560 personnes « en quête de protection auprès de l’ONU ».

Dans un même temps, « des dizaines de membres du personnel de l’UNRWA ont été arrêtés et affirment qu’ils ont été torturés », a encore dit Lazzarini.

Israël a recouru à la violence contre des employés de l’UNRWA arrêtés à Gaza afin de leur soutirer des confessions forcées incriminant l’agence.

Les attaques d’Israël contre l’UNRWA « font partie intégrante » de l’effritement de « l’ordre international basé sur des règles (…) dans une répétition des horreurs qui ont abouti à la création des Nations unies », a ajouté Lazzarini.

L’adoption des projets de loi, qui a suscité une vive opposition et qui a été perçue comme extrême, même par certains alliés de Tel-Aviv, va accroître les pressions internationales sur Israël.

En mars, le Cour internationale de Justice (CIJ) a ordonné à Israël de « garantir sans retard et en coopération totale avec les Nations unies, la livraison sans encombre et à grande échelle (…) des services élémentaires et de l’assistance humanitaire nécessaires de toute urgence ».

L’organisation de recherche palestinienne Badil a déclaré qu’au lieu d’adhérer aux ordres de la cour de l’ONU, les États coloniaux occidentaux encourageaient « le but israélien de chasser l’UNRWA de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. »

« La disparition de l’UNRWA est un but stratégique qui sert les aspirations coloniales et d’apartheid d’Israël à éliminer la question des réfugiés palestiniens », a ajouté Badil.

L’organisation a invité les gouvernements du monde entier à « geler l’affiliation d’Israël aux Nations unies, vu son incapacité à remplir ses obligations de membre ».

 

Le droit au retour

 

Ceci inclut le refus d’Israël d’appliquer la résolution 194, de 1948, de l’Assemblée générale de l’ONU.

Quelque 800 000 Palestiniens ont été chassés de leur patrie au cours de la conquête sioniste de centaines de villes et villages avant même la proclamation de l’État d’Israël.

La résolution 194 exige que ces réfugiés aient le droit de rentrer dans leurs foyers « le plus tôt possible » et en compensation de leur perte de propriété.

L’admission d’Israël à l’ONU avait été soumise à la condition du droit au retour des réfugiés palestiniens.

Selon l’experte en droit international Shahd Hammouri, le refus de ce droit « se situe curieusement au cœur de l’idéologie de l’État d’Israël, bien que le respect de ce même droit soit une condition de son adhésion ».

Adalah, une organisation qui défend les droits des Palestiniens en Israël, a déclaré que les lois interdisant l’UNRWA « violent les mesures provisoires imposées par la [CIJ] et qu’elles peuvent également enfreindre la Convention sur le Génocide et le Statut de Rome [de la Cour pénale internationale (CPI)] ».

Les secrétaires d’État et de la Défense des EU ont prévenu Israël au début de ce mois qu’il y aurait des conséquences potentielles, y compris une suspension de l’assistance militaire, si Israël n’autorisait pas un accroissement de l’aide à Gaza.

Les contrôles internationaux préviennent d’un risque important de famine dans toute la bande de Gaza. À l’approche de l’hiver et après plus d’une année d’utilisation par Israël de la nourriture en tant qu’arme de guerre, « les vies de deux millions de Palestiniens sont déjà gravement en danger »,

ont déclaré les trois organisations palestiniennes des droits humains.

L’interruption des opérations de l’UNRWA « aurait des conséquences dévastatrices et elle contribuerait inévitablement à imposer des conditions de vie calculées pour provoquer la destruction physique des Palestiniens à Gaza », ont ajouté les organisations.

On rapporte que les EU et certains pays européens ont prévenu Israël que l’interdiction de l’UNRWA serait très préjudiciable à la défense du pays devant la CIJ, où il est accusé de génocide.

Il s’avère que, dans son enquête sur les crimes de guerre supposés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, la CPI elle aussi s’intéresse de près aux restrictions imposées par Israël à l’aide humanitaire.

La Norvège a déjà été au départ du lancement d’une résolution de l’ONU réclamant un avis consultatif de la CIJ sur la légalité des « obstacles systématiques » dressés par Israël contre la livraison de l’aide humanitaire aux Palestiniens sous occupation.

Dans une déclaration publiée mardi, la Norvège a déclaré que l’interdiction de l’UNRWA « aura de sévères conséquences pour des millions de civils qui vivent déjà dans les plus pénibles des circonstances ».

« Cela met également en péril la stabilité de tout le Moyen-Orient », a ajouté la déclaration norvégienne.

Un diplomate qui a préféré garder l’anonymat et dont les commentaires ont été paraphrasés par le quotidien israélien Haaretz a déclaré que les tribunaux internationaux peuvent statuer contre l’État et ses dirigeants s’il y a de nouvelles réductions de l’aide, ce qui « permettra plus difficilement aux alliés d’Israël de défendre ce dernier ».

Au moment même où la Knesset israélienne votait en faveur de l’interdiction de l’UNRWA, quelque 100 000 Palestiniens se trouvaient en état de siège dans les zones suivantes du nord de Gaza : Beit Hanoun, Beit Lahiya et le camp de réfugiés de Jabaliya. Ils sont actuellement sans nourriture, sans eau, sans fournitures médicales.

« La population tout entière du nord de Gaza est au bord de la mort », a déclaré Joyce Msuya, la responsable ad interim des secours de l’ONU, deux jours avant le vote de la Knesset.