A l’occasion de la sortie de la nouvelle revue Contre Attaque, nous reproduisons ci-dessous l’interview du Collectif Palestine Vaincra réalisée dans le cadre d’un dossier plus large sur les procédures de dissolutions qui visent différentes organisations. Ce nouveau projet succède à celui de Nantes Révoltée après 10 ans d’existence et se dote comme objectifs « d’incarner une contre attaque à la fois médiatique, culturelle et politique. » N’hésitez pas à commander le premier numéro de ce nouveau projet afin de soutenir leur travail.

 

Darmanin a annoncé une procédure de dissolution du Collectif Palestine Vaincra le 24 février, ainsi que celle du Comité Action Palestine basé à Bordeaux. Le 9 mars la dissolution était prononcée en conseil des ministres. Il semble que tout soit allé très vite, qu’est-ce que cela vous inspire ?

 

Cela peut sembler effectivement soudain mais en réalité cela fait des mois que les partisans de l’apartheid israélien en France menaient campagne pour la dissolution du Collectif Palestine Vaincra. Cela a commencé par le gouvernement israélien qui a décidé en février 2021 de classer comme organisation terroriste le réseau de soutien aux prisonnier·e·s palestinien·ne·s Samidoun, notamment le Collectif Palestine Vaincra qui en est membre. Suite à cela, une organisation proche du gouvernement israélien, NGO Monitor, a lancé une campagne pour la dissolution du collectif dès mars 2021. Celle-ci a été reprise par tout ce que la France compte de supporters de l’apartheid israélien, en particulier des personnalités de la majorité présidentielle (comme Sylvain Maillard et Aurore Bergé) ou de la municipalité de droite de Toulouse. Un an plus tard, on apprend notre dissolution via le compte Twitter de Darmanin. Cette décision politique est donc la suite « logique » de cette campagne de pressions et de diffamation à l’encontre du collectif.

 

Dans le décret publié sur Twitter par Darmanin il est indiqué que le Collectif Palestine Vaincra est dissout, mais sans plus de précisions. Concrètement qu’est-ce qui est dissout ? Qu’est-ce que les membres de CPV peuvent ou ne peuvent pas faire après cette décision ? On pense notamment à vos canaux d’information, votre site ou vos pages sur les réseaux.

 

C’est le collectif en tant que tel qui est dissout ce que le Ministère de l’Intérieur considère comme un « groupement de fait » car nous n’étions pas une association. Cela a pour conséquences l’interdiction d’utiliser le site internet, les réseaux sociaux, le matériel, mais aussi de reconstituer une organisation similaire sous peine de poursuites pénales. C’est une attaque en règle contre la liberté d’expression et d’association et une nouvelle preuve de l’autoritarisme de ce gouvernement. Si la procédure n’est pas annulée dans un an, les différent·e·s ancien·ne·s membres du collectif pourront évidemment continuer à soutenir individuellement la Palestine ou Georges Abdallah à travers des associations ou des campagnes existantes. Mais la voix collective que nous portons sera réduite au silence : une voix résolument anticolonialiste, anti-impérialiste et antiraciste.

 

L’annonce de la dissolution par Darmanin coïncidait avec le dîner du CRIF, à quel point ce timing est-il révélateur des relations entre l’État français et Israël ?

 

La première question que l’on est en droit de se poser est : que vient faire une telle annonce avant un dîner d’une organisation qui se présente comme le « Conseil Représentatif des Institutions Juives de France » ? En réalité, le CRIF est depuis longtemps le relais de l’apartheid israélien et ce type de déclaration à cette occasion entretient la confusion qui vise à associer les Juifs et Juives de France à Israël et par voie de conséquence à assimiler l’antisionisme à de l’antisémitisme. C’est un procédé particulièrement abject qui met également en danger les Juifs et Juives du monde en les associant à un projet colonial et raciste.
Sur le fond des déclarations durant ce dîner, la France est dans la continuité de ce qu’elle a toujours été, c’est-à-dire un allié stratégique d’Israël depuis sa fondation en 1948. Pour autant, on observe une radicalisation de la part des autorités françaises à ce sujet avec un alignement sur les positions de la diplomatie étasunienne et israélienne. La déclaration d’Emmanuel Macron lue par Jean Castex condisérant « Jérusalem, capitale éternelle du peuple juif » n’a rien à envier aux sorties de Trump. C’est une remise en cause profonde de la position historique de la diplomatie française autour de la promotion du « processus de paix » et « la solution à deux États ». Évidemment, ces positions n’étaient en rien anticolonialistes ou progressistes mais l’alignement politique de l’exécutif français sur l’extrême droite israélienne est une déclaration de guerre faite au peuple palestinien.

 

Dans le décret de dissolution, ce qu’on vous reproche en premier lieu ce sont des appels régulier à la discrimination et à la haine. Peux-tu nous dire en quoi lutter contre le sionisme est radicalement différent d’un « appel à la haine antisémite » ?

 

Le sionisme est une idéologie coloniale née au XIXème siècle et qui a pour objectif l’établissement d’un « foyer national juif » en Palestine. En d’autres termes, un projet de colonisation de peuplement venu d’Europe. Mais c’est aussi une idéologie raciste basée sur la théorie de la séparation qui considère que les Juifs/Juives et les non-Juifs/Juives ne peuvent pas vivre ensemble, ni dans leurs pays d’origine ni dans « l’État juif ». En ce sens, le sionisme n’est pas seulement une idéologie profondément réactionnaire pour les Palestinien·ne·s qui subissent ce projet depuis près d’un siècle mais également pour les Juifs et Juives eux-mêmes.

Ainsi être antisioniste, c’est être anticolonialiste et antiraciste. C’est défendre la perspective d’une Palestine libre, multiculturelle et démocratique de la mer au Jourdain pour toutes et tous. On est donc à mille lieux d’un « appel à la haine antisémite » ! Mais ce n’est pas surprenant de lire de telles accusations mensongères de la part de soutiens d’Israël. En effet, ils tentent d’amalgamer l’antisionisme à l’antisémitisme afin de réduire au silence leurs opposant·e·s. C’est tout l’enjeu de la fameuse définition de l’antisémitisme de l’IHRA qui a été adoptée par le Sénat, l’Assemblée Nationale ou les villes de Nice et de Paris. Dans ses exemples, celle-ci amalgame la critique d’Israël ou du sionisme à une forme d’antisémitisme. La lutte contre l’antisémitisme est un combat trop important pour le laisser se faire instrumentaliser de cette manière.

 

Suite à votre dissolution, vous avez déposé plusieurs recours devant le Conseil d’État – un pour suspendre la procédure et un autre pour l’annuler. Vous avez récemment obtenu gain de cause sur le premier. Pouvez-vous expliquer la situation ?

 

Le 29 mai dernier, nous avons remporté une première victoire politique suite à la décision du Conseil d’État de suspendre la procédure de dissolution. Dans notre requête, nous soutenions que le décret attaqué « n’est ni nécessaire, ni adapté et porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et à la liberté d’association », qu’en tout état de cause le Collectif Palestine Vaincra « ne provoque ni ne contribue à la discrimination, à la haine ou à la violence, que ses prises de position vis-à-vis d’Israël et du sionisme ne présentent pas un caractère antisémite, qu’il a toujours condamné l’antisémitisme, que la campagne de boycott des produits israéliens constitue une modalité légitime d’expression d’opinions protestataires (…) » L’argumentation développée par nos avocat·e·s et l’impossibilité du ministère (et pour cause !) à produire des éléments de preuves étayant ces accusations ont conduit la plus haute juridiction administrative française a faire droit à notre requête. Une deuxième requête en annulation sera étudié d’ici environ un an et nous espérons qu’elle sera positive afin de tourner la page de cette attaque particulièrement scandaleuse.
C’est une première défaite pour Darmanin, mais aussi le président Macron qui avait désigné notre collectif comme un « collectif antisémite » lors des commémorations à Toulouse des victimes de Merah. Sans oublier que c’est aussi une défaite pour le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, qui s’était personnellement engagé dans cette offensive contre la solidarité avec la Palestine.
Cette première victoire est une victoire collective et c’est très important pour nous de le souligner. Plus de 10.000 personnes ont signé la pétition contre la dissolution, 34 organisations toulousaines ont fondé un comité de soutien, plus de 150 organisations ont dénoncé cette dissolution et des actions de solidarité ont eu lieu dans des dizaines de pays. De la bande de Gaza au camp de Chatila à Beyrouth en passant par le Canada, le Chili, la Suède ou encore la Tunisie et l’Italie. Sans oublier bien sur que plusieurs organisations se sont portées intervenantes volontaires dans la procédure (Union Juive Française pour la Paix, Association France Palestine Solidarité, et l’Union Syndicale Solidaires) ce qui a été un soutien important.

 

Dans les faits qui vous sont reprochés, le décret insiste moins sur vos propos que sur les commentaires qu’ils suscitent sur Facebook. Nous aussi, à Nantes Révoltée, on a parfois du mal à modérer l’ensemble des commentaires alors que nous sommes bénévoles et que nous avons souvent d’autres choses à faire que cette activité chronophage. Est-ce que le fait que les propos reprochés ne viennent pas directement du collectif peut jouer en votre faveur au Conseil d’État ?

 

Le Ministère se réfère ici à la jurisprudence liée à la dissolution du CCIF l’année dernière et qui rend les administrateurs/trices des réseaux sociaux (entre autres), responsables du contenu des commentaires. Depuis la fondation du collectif, une commission communication est chargée de modérer les commentaires publiés sur nos réseaux sociaux. Le rythme de publications étant élevé, les commentaires sont nombreux et il est évident que cette modération ne peut pas être effective à 100%. Nous supprimons régulièrement de très nombreux commentaires. Nous bloquons également des centaines de personnes parce que nous n’avons jamais toléré un quelconque appel à la haine. Au final, le Conseil d’État a considéré dans sa décision en référé qui suspend notre dissolution qu’« il ressort des pièces versées au dossier et des indications données lors de l’audience de référé que le groupement a procédé à la suppression de certains de ces commentaires et cherche à y remédier compte tenu des moyens dont il dispose. En outre, il n’est pas établi, en l’état de l’instruction, que les commentaires en cause émaneraient de membres du groupement agissant en cette qualité ou étant directement liés aux activités de celui-ci. »

 

Sur la situation en Palestine, on remarque que les agressions de l’armée israélienne, les destructions de maisons et l’accaparement des terres palestiniennes se poursuivent à un rythme soutenu, mais que ces violences génèrent peu d’émoi. Comment pensez-vous qu’on puisse sortir de l’ignorance occidentale de la situation et de la collaboration avec l’État d’Israël ?

 

Cela passe par la mobilisation et l’action collective et c’est évidemment cela que le gouvernement français veut réduire au silence ! Mais il faut bien comprendre que ce qui se joue en Palestine est intimement lié avec la situation ici. Si Israël existe aujourd’hui c’est parce qu’elle sert les intérêts des puissances occidentales dans cette région du monde, notamment ceux de la France. Les produits cultivés sur les terres palestiniennes volées sont vendus dans les supermarchés français tandis que des entreprises françaises investissent en Palestine occupée. Ainsi, les luttes en France et en Palestine n’ont de sens que si elles s’inscrivent dans un combat anti-impérialiste et une perspective internationaliste. Évidemment ces positions sont en net recul dans la gauche révolutionnaire mais nous n’avons pas d’autres alternatives.

 

Aujourd’hui, quelles pistes pour sortir la Palestine de la catastrophe humaine que représente la colonisation ? Qu’est-ce qu’on peut faire, depuis la France, pour soutenir le peuple palestinien ?

 

On peut s’engager de multiples manières et à différents niveaux. Par exemple, en organisant des campagnes de solidarité notamment à travers les campagnes de boycott d’Israël, en soutien aux prisonnières et prisonniers palestinien·ne·s ou encore en participant à la mobilisation pour la libération immédiate de Georges Abdallah, communiste libanais et combattant de la résistance palestinienne emprisonné en France depuis plus de 37 ans. Il y a de nombreuses organisations en France qui font un travail important, comme Samidoun Région Parisienne, l’UJFP, la Campagne unitaire pour la libération de Georges Abdallah ou Jeunes pour la Palestine à Nantes. C’est important de les soutenir et les renforcer.

 

Entretien réalisé en mars et mai 2022