Lors d’une visite cette semaine, Mahmoud Abbas a salué le camp de réfugiés de Jénine comme une icône de la résistance, alors même que l’Autorité palestinienne continue d’emprisonner les résistants. Mais comme l’a dit un jour un membre de la brigade de Jénine à Mondoweiss, « Ramallah ne connaîtra pas la liberté » tant que l’AP y régnera.

Le mercredi 12 juillet, le président par intérim de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et plusieurs responsables de la sécurité de l’Autorité palestinienne, dont le secrétaire général du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine, Hussein al-Sheikh, et le chef des services de renseignements généraux, Majed Faraj, se sont rendus à Jénine à bord d’un hélicoptère jordanien.

Une délégation dirigée par le premier ministre Mohammad Shtayyeh, le ministre de l’intérieur Ziyad Hab al-Reeh et le gouverneur de Jénine, Akram Rjoub, a accueilli le président de l’Autorité palestinienne et sa suite, puis a visité le camp de réfugiés de Jénine après avoir déposé des fleurs sur les tombes des martyrs de Jénine, dont un grand nombre ont été tués par les forces israéliennes lors de la récente invasion militaire massive du camp.

Selon le porte-parole officiel du bureau présidentiel, Nabil Abu Rmeileh, l’objectif de la visite était d’évaluer l’ampleur des dégâts causés par l’assaut israélien, le plus important et le plus dévastateur que le camp ait connu depuis deux décennies. La visite de M. Abbas fait suite à une délégation de près de 80 représentants du Fatah qui s’était rendue dans le camp le 9 juillet.

Le président en exercice, âgé de 87 ans et dont le mandat a expiré il y a 14 ans, cinq mois et 28 jours, était accompagné d’un défilé des forces de sécurité palestiniennes armées, qui ont envahi les rues de la ville et du camp de réfugiés de Jénine en prévision de la visite. Selon des habitants du camp et des journalistes locaux, des forces armées étaient également stationnées sur les toits et dans les villes voisines, tandis que plusieurs dizaines d’hommes en civil ont été dépêchés pour se tenir au milieu de la foule qui accueillait le président en exercice de l’Autorité palestinienne – peut-être dans le but de s’assurer qu’il serait accueilli par une foule en liesse plutôt que par le ressentiment silencieux d’une population de réfugiés livrée à elle-même.

Pour les Palestiniens de Jénine et du camp de réfugiés de Jénine, la présence visible d’un si grand nombre d’agents de sécurité armés n’a fait qu’ajouter du sel à la plaie, car le ressentiment s’est accru à l’égard de l’Autorité palestinienne au cours des deux dernières années en raison de son rôle dans la poursuite de la coordination sécuritaire avec les forces israéliennes pendant l’année et demie qu’a duré l’assaut contre les groupes de résistance palestiniens, connu sous le nom d’opération « Briser la vague ». Ce ressentiment a atteint son paroxysme à la suite de la dernière invasion meurtrière de deux jours dans le camp : alors que les forces israéliennes se retiraient, les Palestiniens de Jénine ont affronté les forces de l’Autorité palestinienne, les accusant de « collaboration » avec l’occupation israélienne.

Cela a inauguré un autre type de bataille dans le camp, une bataille portant sur la légitimité de l’Autorité palestinienne et son ancrage à Jénine. Lors des funérailles des 12 martyrs de l’opération de Jénine, une délégation du Fatah s’est fait expulser du camp par les personnes en deuil, qui ont scandé « dehors l’Autorité palestinienne ». Dans les jours qui ont suivi, cependant, plusieurs autres délégations du Fatah ont tenu à revenir pour rencontrer des membres de la brigade de Jénine et ont visité le camp – une tentative transparente de rétablir la présence de l’AP tout en revendiquant le récit de la fermeté nationale en s’associant à l’héroïsme du camp qui a repoussé l’agression israélienne.

 

Ils vous tuent, puis viennent pleurer à vos funérailles

En deux jours, dix Palestiniens ont été tués, des milliers ont été blessés et 130 ont été arrêtés en masse. Les réseaux d’eau et d’électricité ont été entièrement coupés et l’infrastructure du camp de réfugiés, déjà très pauvre, a été détruite par les bulldozers D-9 qui ont dévasté les rues et transformé le camp en zone de guerre. Selon le Club des prisonniers palestiniens, au moins plusieurs dizaines de détenus ont été placés en détention administrative, ce qui signifie qu’ils ont été emprisonnés sans inculpation ni procès.

Pour les résidents du camp de réfugiés – les milliers qui ont dû fuir et les milliers d’autres qui sont restés piégés pendant les deux jours de l’opération militaire – le sentiment que beaucoup d’entre eux ont exprimé peut être résumé dans la question qui n’a cessé de se poser pendant la visite de M. Abbas : « Où étaient ces représentants et ces forces de sécurité lorsque nous étions massacrés ? »

Depuis la démilitarisation de la Cisjordanie à la suite de la deuxième Intifada, la seule force palestinienne officiellement armée est devenue l’appareil de sécurité de l’Autorité palestinienne. Toute personne portant une arme en Cisjordanie qui n’était pas enregistrée auprès de l’Autorité palestinienne – et donc approuvée par Israël – était considérée comme un terroriste susceptible d’être recherché par Israël à tout moment.

Pourtant, ce personnel armé, ostensiblement chargé de défendre la sécurité des Palestiniens qu’il prétend représenter, est resté inactif au cours des deux dernières années, tandis que les forces israéliennes laissaient derrière elles une traînée de sang palestinien. Ceux qui ont décidé de défier l’assaut sont les résistants recherchés qui se sont armés eux-mêmes en raison de l’inaction de l’AP face à l’expansion coloniale ininterrompue.

Et lorsque ces groupes de résistance palestiniens ont été assiégés dans le camp de réfugiés de Jénine la semaine dernière, les forces de sécurité palestiniennes de Jénine ont reçu l’ordre de se retirer, comme elles l’ont toujours fait lors des précédentes invasions de villes palestiniennes. Pendant ce temps, le gouverneur de Jénine, Akram Rjoub, qui réside à Ramallah, était en vacances alors que le camp résistait à l’offensive israélienne.

Pourtant, ce qui continue à creuser un fossé entre l’AP et la population palestinienne n’a pas tant à voir avec la paralysie de l’AP et son incapacité à protéger son peuple qu’avec l’engagement proactif des forces de sécurité dans l’attaque et l’affaiblissement de la société palestinienne et des groupes de résistance palestiniens – de la répression constante de l’opposition politique à la réduction au silence des dissidents, en passant par l’arrestation de résistants à Naplouse en septembre dernier, et même par l’arrestation de résistants à Jénine à la veille de la récente invasion israélienne et au cours des mois qui l’ont précédée. En effet, pendant l’heure où Abbas s’envolait de Ramallah pour Jénine, un sit-in se tenait devant le siège de l’Autorité palestinienne à Bethléem pour protester contre le maintien en détention du cheikh Jamal Hamamra, un dirigeant local du Jihad islamique palestinien (PIJ), par les services de renseignements palestiniens. Hamamra a été libéré le 13 juillet, selon Saraya al-Quds, la branche militaire du PIJ, mais celle-ci continue de détenir un certain nombre de combattants du PIJ à Jénine, Tulkarem, Naplouse et Hébron.

 

Ramallah ne connaîtra pas encore la liberté

Le 6 juillet, la brigade de Jénine a publié une déclaration condamnant les récentes arrestations. « Il est déchirant de constater que nous sommes mortellement poignardés dans le dos par notre propre peuple, les services de sécurité de l’AP, qui ont commis mardi un acte qu’aucun combattant ou défenseur de cette terre n’accepterait », peut-on y lire.

Pourtant, malgré l’antagonisme indéniable entre l’AP et la résistance palestinienne, M. Abbas a publié une déclaration à la suite de sa visite du camp, saluant ce dernier comme une icône de la résistance dans le monde entier. Le président de l’Autorité palestinienne a continué à affirmer que les dirigeants palestiniens n’accepteraient aucune agression contre leur peuple et que les Palestiniens resteraient inébranlables et patients.

Mais la visite n’a pas reçu l’accueil animé que l’on aurait pu attendre d’une apparition présidentielle. En effet, avant que le président en exercice n’ait pu terminer son discours, on pouvait entendre au loin une foule qui scandait « kateebeh, kateebeh » – littéralement, « brigade », en référence à la brigade de Jénine, le groupe de résistance qui a défendu le camp et qui a remporté une victoire provisoire contre un millier de soldats d’élite de l’armée israélienne.

L’un des résistants de la Brigade de Jénine, aujourd’hui martyr, Nidal Khazem – qui a été assassiné le 16 mars – a raconté comment l’Autorité palestinienne avait tenté de supprimer la Brigade de Jénine lors d’une interview accordée à Mondoweiss en octobre 2022. « L’Autorité palestinienne a essayé de nous faire taire, elle nous a offert beaucoup de choses, elle me les a même offertes », a-t-il déclaré à Mondoweiss. « Mais j’ai refusé. J’ai choisi une voie, et je m’y suis tenu depuis. »

Ce chemin a conduit Nidal Khazem à la mort. Quelques jours après son assassinat, Mondoweiss a interviewé son père en deuil, Amin Khazem, qui est affilié au Fatah.

« Je le dis avec une telle honte maintenant », avait déclaré le père endeuillé au sujet de son affiliation à une faction lors de l’entretien.

« Maudissez-les et maudissez les armes qu’ils possèdent », avait-il ajouté, faisant référence aux forces armées de l’Autorité palestinienne. Plus tard, M. Amin a publié sur sa page Facebook un message adressé à l’Autorité palestinienne : « Votre quartier général ne travaille que pour la préservation et le service de l’occupation », a-t-il écrit. « Nidal n’oubliera pas. »

L’interview de Nidal en octobre fait écho au même sentiment. « Voyez-vous Ramallah ? Ramallah ne verra pas encore la liberté », a-t-il déclaré à Mondoweiss. « Ramallah a besoin de beaucoup de temps. Tant qu’il y aura l’AP à Ramallah, [la résistance et la libération] ne viendront pas de là ».

 

Article de Mariam Barghouti, la principale correspondante de Mondoweiss sur la Palestine. 

 

Source : Mondoweiss – Traduction : Collectif Palestine Vaincra