Vendredi, les soldats israéliens ont intensifié leurs attaques contre un important hôpital de Khan Younis, dans le sud de Gaza, alors que se poursuivaient les négociations autour d’un échange de prisonniers et d’une trêve à long terme entre Israël et le Hamas.
Des bulletins d’information ont confirmé que l’Égypte préparait des terrains dans le nord du Sinaï afin d’accueillir les personnes déplacées de Gaza dans ce qui s’avère être un plan d’urgence pour un exode massif, exode auquel Le Caire prétend s’opposer.
Cette évolution attise les craintes de ce que la menace d’incursion à Rafah, où sont concentrées plus d’un million de personnes après qu’Israël a ordonné l’évacuation d’autres zones Gaza, n’aille entraîner non seulement un bain de sang mais aussi une expulsion massive de Palestiniens de leur terre.
La majorité de la population de Gaza (de plus de 2,3 millions d’habitants) est déjà constituée de réfugiés, suite au nettoyage ethnique qui a eu lieu à l’époque de la création d’Israël, en 1948. Israël interdit à ces réfugiés d’exercer leur droit au retour – pourtant inscrit dans les lois internationales – dans le cadre de son régime d’apartheid qui facilite la colonisation de la terre palestinienne.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a déclaré cette semaine qu’une escalade de la violence à Rafah posait « un risque désastreux pour les vies humaines et les infrastructures ».
Le Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a déclaré vendredi que l’intensification des frappes aériennes contre Rafah et les craintes d’une opération terrestre de l’armée israélienne « avaient débouché, a-t-on dit, sur le déplacement de la population depuis le gouvernorat le plus au sud de Gaza vers Deir al-Balah », dans la partie centrale du territoire.
Répondant à une intervention urgente de l’Afrique du Sud, la Cour internationale de justice (CIJ) a déclaré vendredi que la « situation périlleuse » à Gaza, et tout particulièrement à Rafah, « requiert une application immédiate et efficace des mesures provisoires désignées par la cour » à la fin du mois dernier, mais elle a refusé de donner de nouveaux ordres.
Ces mesures demandent à Israël d’empêcher les violations de la Convention sur le génocide, y compris les meurtres ou actions provoquant « de graves préjudices corporels ou mentaux » chez les Palestiniens, vu leur qualité de groupe protégé, ainsi que les actions « infligeant délibérément (…) des conditions d’existence devant entraîner leur destruction physique en tout ou en partie ».
La cour a également interdit à Israël d’« imposer des mesures destinées à empêcher les naissances au sein du groupe ».
Israël a ignoré ces mesures, tuant quelque 3 000 Palestiniens de plus depuis que la cour a sorti sa décision provisoire, alors que, vendredi, le ministère palestinien de la santé a cité le chiffre de 28 775 victimes depuis le 7 octobre.
La faim, la soif et la maladie
Des milliers d’autres Palestiniens sont portés manquants et présumés morts sous les décombres, alors qu’un nombre inconnu de Palestiniens sont morts de faim et de maladie au cours d’une vague de mortalité secondaire résultant de l’offensive militaire et de la famine orchestrée par Israël.
Hussam Abu Safiya, un médecin de l’hôpital Kamal Adwan, dans le nord de Gaza, a déclaré cette semaine que, ces derniers jours, plusieurs enfants étaient morts de soif et de malnutrition vu la situation générale de famine et de propagation des maladies :
Dr. Hussam Abu Safiya of Kamal Adwan Hospital in northern Gaza highlights the surge in deaths, particularly among children, due to drought and malnutrition. Shortages of food and the spread of diseases and epidemics exacerbate the situation. #GazaGenocide pic.twitter.com/rwPtdsEU2k
— Ramy Abdu| رامي عبده (@RamAbdu) February 15, 2024
Les mères allaitantes souffrent de malnutrition, a ajouté le médecin, ce qui affecte la vie de leurs bébés.
Des photos d’Al Jazeera en provenance de l’hôpital Kamal Adwan montrent de tout jeunes patients émaciés qui ont été grièvement blessés après avoir été ciblés par des avions israéliens pendant que leur famille cherchait de la nourriture.
« Ils courent maintenant un grave danger en raison des pénuries de nourriture et de médicaments », estime le journaliste d’Al Jazeera Anas al-Sharif.
Palestinian father: « The entire world is watching our children without lifting a finger… these children are dying. If they don’t die of hunger, they will die of disease »
Anas al-Sharif reports from Kamal Adwan hospital pic.twitter.com/Tjg33pHCCh
— Saul Staniforth (@SaulStaniforth) February 15, 2024
L’insécurité alimentaire dans la ville de Gaza et dans le nord de l’enclave « a atteint un niveau extrêmement critique, étant donné les importantes restrictions qui frappent la livraison de l’aide humanitaire », a déclaré l’OCHA vendredi.
« À Rafah, les conditions humanitaires se sont de plus en plus durcies, et l’on fait état en permanence de gens qui bloquent les camions d’aide afin de faire main basse sur des vivres », a ajouté l’OCHA.
Le « modèle des attaques » contre les hôpitaux
Israël continue d’infliger des conditions de vie calculées pour provoquer la destruction physique des Palestiniens de Gaza en attaquant les hôpitaux, et c’est une caractéristique clé de sa campagne militaire dans tout le territoire.
Le bureau des droits humains de l’ONU a déclaré jeudi qu’il était « profondément embarrassé » par les rapports concernant le raid d’Israël contre le Complexe médical Nasser à Khan Younis, dans le sud de Gaza, où des milliers de personnes déplacées se sont réfugiées.
Jeudi, les soldats israéliens ont envahi le complexe médical – décrit par le responsable de l’Organisation mondiale de la Santé comme « la colonne vertébrale du système de santé dans le sud de Gaza » – après avoir interrompu les livraisons pendant une semaine et ordonné son évacuation mardi.
« Il s’avère que le raid s’inscrit dans un modèle d’attaque utilisé par les forces israéliennes quand elles veulent frapper des infrastructures essentielles vitales pour les civils à Gaza, et particulièrement les hôpitaux », a ajouté le bureau des droits humains de l’ONU.
« Avec près de 70 000 personnes déclarées blessées au cours de ce conflit et un système de soins près de s’effondrer en raison des attaques contre les sites et des restrictions dans les fournitures humanitaires essentielles, l’impact sur les civils est effroyable », a déclaré l’ONU.
Les soldats israéliens ont ordonné aux patients, dont des personnes en soins intensifs et des unités de crèches, de gagner un autre bâtiment, « exposant ainsi les patients à des risques graves, dont la mort, pour les plus vulnérables », a ajouté le bureau de l’ONU, se faisant l’écho des témoignages adressés à The Electronic Intifada par l’équipe médicale du Complexe Nasser.
Des patients meurent suite au manque d’oxygène
Certains des patients les plus vulnérables ont perdu la vie au cours du siège du Complexe médical Nasser.
Le ministère palestinien de la santé à Gaza a déclaré vendredi que cinq patients en soins intensifs étaient morts après que leur réserve d’oxygène avait été épuisée.
L’Organisation mondiale de la Santé a expliqué qu’elle tentait d’obtenir l’accès à l’hôpital, où « il y a toujours des blessés dans un état critique ainsi que des patients malades », a déclaré Tarik Jasarevic, un porte-parole de l’OMS.
Plus tôt dans la journée, le ministère de la santé a rapporté que les troupes israéliennes avaient arrêté, juste en dehors du complexe médical, un convoi de l’OMS transportant du carburant, de l’eau et de la nourriture.
Le ministère a déclaré plus tard ce même jour que les militaires avaient arrêté et interrogeaient un grand nombre de membres du personnel médical, ainsi que des patients et des personnes déplacées, dans les installations de la maternité à l’hôpital, qu’ils avaient transformées en un cantonnement militaire.
Médecins sans frontières a expliqué que les forces israéliennes avaient tiré des obus sur le Complexe médical Nasser jeudi matin et son personnel sur place « a fait état d’une situation chaotique, avec un nombre indéterminé de tués et de blessés ».
L’organisation a déclaré qu’un membre de son personnel avait été arrêté par les soldats israéliens à un checkpoint où ils contrôlaient les gens qui quittaient l’hôpital. L’organisation a ajouté que « l’homme n’était toujours pas revenu ».
Vendredi, Medical Aid for Palestinians a dit que deux femmes avaient accouché au Complexe médical Nasser « dans des conditions pénibles, sans électricité ni eau ni nourriture ni chauffage » et que les soldats israéliens avaient forcé les femmes et les enfants à se rendre dans le bâtiment de la maternité, « qui est en état de siège militaire ».
Attack on Nasser hospital update:
🚨 hundreds of patients, healthcare workers and IDPs are still trapped at Nasser hospital following Israel’s storming of the facility.
🚨Four patients have died in intensive care as a result of the power outage and the lack of oxygen.
— Medical Aid for Palestinians (@MedicalAidPal) February 16, 2024
Physicians for Human Rights – Israel (Médecins pour les droits humains – Israël) a déclaré vendredi que « l’assaut dévastateur » contre le Complexe médical Nasser « n’avait fourni aucune réponse adéquate pour garantir le transfert en toute sécurité des patients et du personnel ».
« Au-delà des garanties que cela évitera de porter préjudice aux personnes évacuées », a ajouté l’organisation des droits, « Israël doit assurer la disponibilité des ambulances de soins intensifs et garantir aux installations médicales alternatives qu’elles pourront couvrir les besoins médicaux complexes de ces patients ».
L’organisation a déclaré que, « vu l’effondrement du système des soins de santé de Gaza », l’évacuation forcée du Complexe médical Nasser « contredit de façon flagrante » l’ordre que la CIJ a notifié à Israël « d’entreprendre des actions immédiates afin de prévenir une catastrophe ».
The IDF has entered Nasser Hospital, one of the last functioning left in Gaza. It is the largest hospital in southern Gaza, where more than 1,500 people have been sheltering. @nadaabashir reports on the latest, with some images that are difficult to watch. pic.twitter.com/d7TBo8dSmk
— Christiane Amanpour (@amanpour) February 15, 2024
L’armée israélienne a déclaré vendredi qu’elle avait arrêté plus de 20 personnes au Complexe médical Nasser dont elle prétendait qu’elles étaient impliquées dans l’attaque du Hamas du 7 octobre.
L’armée a fait savoir sur son compte Telegram que son « opération précise et limitée » au complexe reposait sur des renseignements « affirmant que les activités du Hamas étaient commandées à partir de l’hôpital ».
La COGAT – une unité de l’armée israélienne qui a joué un rôle prépondérant dans le siège total imposé à Gaza depuis 2007 et dans la détérioration qui s’en est suivie de la capacité du système des soins de santé dans l’ensemble du territoire – a prétendu que le Hamas avait transformé le Complexe médical Nasser « en un de ses centres terroristes de commandement ».
Israël a avancé des allégations similaires, tout aussi dénuées de la moindre substance, à propos d’autres établissements de santé qu’il a attaqués à Gaza au cours de ces quatre derniers mois.
A report on how Israel are attempting to justify their latest onslaught against a healthcare facility, but aren’t producing any evidence to back up their claims. pic.twitter.com/9PyL0ZaAVd
— Saul Staniforth (@SaulStaniforth) February 15, 2024
« Une guerre biologique indirecte »
Alors qu’Israël prétend que ses opérations à Gaza se concentrent sur l’élimination du Hamas, le modèle des attaques et l’ampleur des destructions sont les marques d’une campagne délibérée visant à balayer toute infrastructure civile sur tout le territoire, le rendant ainsi inhabitable.
This is what remains of the Patients Friends Association hospital in northern #Gaza.
Patients and health workers evacuated in search of safety in early February.
6⃣0⃣% of hospitals in the Gaza Strip are non-functional.
Over 7⃣0⃣% of civilian infrastructure – including homes,… pic.twitter.com/xEvlMnpScY
— WHO in occupied Palestinian territory (@WHOoPt) February 13, 2024
Au-delà des dizaines de milliers de tués et de blessés, « les soins médicaux modernes ont été pour ainsi dire mis à l’arrêt pour les 2,3 millions de Palestiniens de Gaza », estiment Annie Sparrow et Kenneth Roth, dans Foreign Policy.
Ils font remarquer que, même avant l’agression actuelle, l’espérance de vie à Gaza était « déjà de dix ans inférieure à celles de gens qui vivaient à quelques milles de là, en Israël », alors que leurs taux de mortalité chez les nouveau-nés, les enfants en bas âge et les mères étaient près de cinq fois plus élevés ».
Les auteurs ajoutent que « la combinaison du déplacement massif forcé, des conditions dépourvues d’hygiène provoquées par les interruptions des services d’assainissement et du traitement des eaux usées ainsi que par l’interruption de la vaccination, va inévitablement provoquer des épidémies de maladies dans le futur, lesquelles résulteront fonctionnellement en une forme de guerre biologique indirecte.”
Les organisations humanitaires sont attaquées
L’ONG française Médecins du monde a déclaré lundi que ses bureaux à Gaza même, pourtant clairement marqués de repères distinctifs et dont les autorités israéliennes savaient parfaitement qu’ils hébergeaient une organisation humanitaire, avaient été délibérément démolis quelques jours plus tôt.
Un membre du personnel de l’organisation humanitaire s’était réfugié dans les bureaux avec sa famille, a encore dit Médecin du monde.
« Ils s’étaient barricadés à l’intérieur à l’aide des armoires de bureau et n’osaient pas sortir par crainte de se faire abattre, du fait que de nombreux civils avaient été tués autour de l’immeuble, qui était entouré d’explosions », a encore expliqué l’ONG.
Les soldats étaient entrés dans les bureaux au début février et « en avaient éloigné les personnes âgées, les femmes et les enfants », avant d’humilier et de dégrader les hommes présents en « les forçant de sortir dévêtus ».
Les bureaux de Médecins du monde ont été détruits à un moment indéterminé après l’évacuation forcée.
La Société du Croissant-Rouge de Palestine a déclaré vendredi que son hôpital de Khan Younis avait été ciblé par des tirs de char le jour même, qu’il en était résulté d’importants dégâts, mais pas de blessés.
Des chars sont stationnés à l’extérieur de l’hôpital Al-Amal depuis deux semaines, « empêchant toute entrée d’aide ou de fournitures logistiques », a ajouté l’organisation humanitaire.
Le Croissant-Rouge a dit que deux de ses médecins avaient été relâchés après avoir été arrêtés par des soldats au cours d’un raid contre Al-Amal une semaine plus tôt. Douze membres des équipes du Croissant-Rouge « restent en état d’arrestation et, parmi eux, les sept hommes qui ont été arrêtés à l’hôpital Al-Amal », a encore expliqué l’organisation humanitaire.
Neuf patients âgés qui ne pouvaient être évacués ont été arrêtés avec leurs accompagnateurs au moment où l’hôpital a subi un raid, le 9 février, dit encore la SCRP.
Cette dernière a réfuté l’allégation de l’armée israélienne disant qu’elle avait arrêté « 20 terroristes » quand elle avait pris le site d’assaut. La SCRP a expliqué que cette allégation était « une tentative minable de justifier la perpétration de ses crimes de guerre ».
Vendredi, le Croissant-Rouge a annoncé que, malgré le siège d’Al-Amal, son équipe avait réalisé avec succès une césarienne urgente sur une femme enceinte :
Amidst the ongoing attack and siege on PRCS Al-Amal Hospital, the medical team achieved a remarkable feat this morning by performing an urgent cesarean section for a pregnant woman experiencing sudden labor pains. Despite facing challenges such as insufficient blood units, the… pic.twitter.com/onnXwuWstx
— PRCS (@PalestineRCS) February 16, 2024
Biden insiste en faveur d’un « cessez-le-feu temporaire »
Vendredi également, le président américain Joe Biden a déclaré qu’il avait eu les jours précédents, avec Benjamin Netanyahou, « des conversations prolongées » au cours desquelles il avait expliqué au Premier ministre israélien qu’il fallait « un cessez-le-feu temporaire afin de faire sortir les prisonniers, de faire sortir les otages ».
Il avait réitéré son opposition à une invasion de Rafah. L’administration de Biden s’oppose à ce genre d’opération mais dit qu’elle n’imposerait pas la moindre conséquence matérielle à Israël – tel un arrêt des transferts d’armes – si Israël devait aller de l’avant.
Entre-temps, l’administration Biden continue de faire obstacle à une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies demandant un cessez-le-feu à Gaza, comme le réclame l’Algérie.
Plus tôt, ce mois-ci, Natanyahou avait rejeté une proposition avancée par le Hamas en vue d’un cessez-le-feu de plusieurs mois et d’un échange de prisonniers. Natanyahou avait insisté en disant qu’« une pression militaire continue est une condition nécessaire pour la libération des otages ».
Benny Gantz, le chef de l’opposition et membre du cabinet de guerre de Netanyahou, a déclaré vendredi qu’« il n’y aura pas de cessez-le-feu, ne serait-ce que d’un seul jour, tant que les otages n’auront pas été restitués ».
Et d’ajouter que « soit les otages seront restitués, soit nous étendrons les combats à Rafah ».
Le même jour, Abu Obeida, porte-parole des Brigades Qassam, l’aile armée du Hamas, a déclaré qu’il y avait eu beaucoup de pertes dans ses captifs et que ceux qui étaient encore en vie se trouvaient dans des « conditions extrêmement difficiles ».
Il a ajouté : « Nous les avons mis en garde des douzaines de fois contre les dangers auxquels leurs otages étaient exposés. Nous ne voulions pas que la situation en arrive à ce point, mais les dirigeants [israéliens] nous ont ignorés. »
Mardi dernier, le porte-parole en chef de l’armée israélienne a déclaré que 31 des 136 otages encore à Gaza étaient morts.
Cette semaine, les médias israéliens ont fait état d’un document du ministère des renseignements disant que le Hamas survivrait en tant que force combattante après la guerre.
« Il n’y aura pas de victoire absolue » comme l’a promis Natanyahou, s’il faut en croire Ilana Dayan, une journaliste du diffuseur israélien Channel 12, qui a été la première à parler de ce document du ministère des renseignements.
Article de Maureen Clare Murphy, rédactrice en chef de The Electronic Intifada, paru initialement le 17 février 2024
Source : The Electronic Intifada – Traduction : Plateforme Charleroi-Palestine