Nous reproduisons ci-dessous une interview du Collectif Palestine Vaincra réalisée par la revue Supernova sur la situation actuelle du mouvement de solidarité avec la Palestine et sur nos tâches dans la mobilisation contre le génocide en cours à Gaza.

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  • 1) Les mobilisations pour la Palestine ont fait l’objet de nombreuses attaques de la part du gouvernement, y compris sous des formes répressives (amendes, interdictions, propositions visant à rendre illégales les organisations de solidarité internationalistes et anti-impérialistes).  Quelle est votre expérience à cet égard ?

Depuis notre fondation en mars 2019, le Collectif Palestine Vaincra a fait face à une répression croissante de la part des autorités françaises : des amendes pour des motifs fallacieux aux interdictions de certaines de nos initiatives jusqu’à notre dissolution en mars 2022 à la demande de Gérald Darmanin, par décret ministériel. Celle-ci a été suspendue par le Conseil d’État en mai 2022, mais la procédure est toujours en cours et une audience sur le fond doit se tenir dans les semaines/mois à venir et rien n’est encore joué. Ce qui est visé à travers cette criminalisation c’est bien sûr les objectifs politiques que nous portons : la construction d’un mouvement populaire anti-impérialiste et antisioniste qui se donne comme objectif de soutenir la résistance du peuple palestinien jusqu’au retour de tou·tes les réfugié·es et la libération de la Palestine de la mer au Jourdain.

Mais il faut souligner que ces attaques contre nous ne sont malheureusement pas un cas isolé. On voit une criminalisation croissante du mouvement de solidarité avec la Palestine en France qui doit être comprise comme l’expression de la politique impérialiste française au Moyen-Orient. Même si la France a toujours été un soutien à la colonisation sioniste de la Palestine, on voit un changement progressif de sa diplomatie qui soutien de plus en plus unilatéralement l’extrême droite israélienne en raison de plusieurs facteurs, notamment la crise de l’impérialisme français, l’effondrement politique de la bourgeoisie arabe et palestinienne, le renforcement de la normalisation dans la région, etc.

Enfin, cette répression concerne l’ensemble des personnes engagées dans la lutte contre toutes les oppressions, car ce n’est qu’un élément de la radicalisation autoritaire du gouvernement français. Tous les secteurs sont attaqués : contre l’islamophobie, contre le fascisme, pour l’écologie, contre les attaques anti-sociales, etc. Il faut donc que nous fassions front ensemble pour y faire face !

  • 2) Les manifestations et la solidarité avec la Palestine ont mobilisé des milliers de personnes en France. Dans les cortèges, la présence de jeunes des quartiers populaires était importante. Pensez-vous qu’il y ait un lien non seulement de solidarité mais aussi matériel entre les Palestiniens enfermés dans les ghettos sionistes et la condition des jeunes prolétaires des quartiers populaires ?

Effectivement, on observe une participation massive des habitant·es des quartiers populaires aux mobilisations pour la Palestine. En réalité, il faudrait être plus précis, car ces quartiers sont d’abord des quartiers de l’immigration et la participation massive concerne surtout les personnes arabo-musulmanes, en particulier des jeunes et des femmes. Cela s’explique par plusieurs facteurs dont le premier relève du fait que la cause palestinienne est aussi une cause arabe qui concerne très directement les personnes qui sont originaires de la région. On remarque notamment de nombreux drapeaux de pays arabes (Maroc et Égypte par exemple) dans les manifestations. Ce sont autant de manifestations de leur engagement pour la Palestine, mais aussi un rejet populaire clair de la politique de normalisation des régimes réactionnaires arabes avec l’Etat sioniste.

Un autre élément est le lien historique et politique qui existe entre les luttes de l’immigration en France et la Palestine qui s’incarne dans un vécu commun contre le colonialisme et le racisme. C’est le sens du slogan « L’Algérie a vaincu, Palestine vaincra » que nous portons dans les manifestations à Toulouse et qui fait vivre l’héritage anticolonialiste existant dans ces quartiers et qui souligne la légitimité de la résistance d’un peuple colonisé et sa possible victoire.

  • 3) La campagne de solidarité avec la Palestine s’est développée sous différentes formes (manifestations, boycotts, etc.). En Europe, nous avons également eu des formes de solidarité directe par des groupes de travailleurs, comme dans le cas des dockers de Gênes et de Barcelone qui ont refusé de charger des bateaux d’armes pour Israël. La majorité des syndicats ont une position « pacifiste » à l’égard du conflit palestinien, mais certains syndicats (Italie, Irlande, Grèce) se sont exprimés directement pour soutenir la lutte palestinienne. Quelle est la position du mouvement syndical français à l’égard de la Palestine ? Y a-t-il des signes de solidarité directe ?

Comme tout le reste de la société, le mouvement syndical est traversé par des courants d’opinion très différents. Les syndicats que l’on appelle de transformation sociale (CGT, FSU, Solidaires) ont traditionnellement une prise de position pro-palestinienne mais qui malheureusement dépasse rarement le paradigme imposé par la direction de l’OLP et des accords d’Oslo. En effet, les directions de ces syndicats se limitent bien souvent à promouvoir la « paix entre Israélien·nes et Palestinien·nes » ou la « solution à deux Etats » alors même que les trente dernières années ont démontré l’impasse de cette stratégie. Il s’agit par ailleurs d’une trahison des aspirations du peuple palestinien à vivre dans une société débarassée du colonialisme de peuplement sur toute la Palestine historique, de la mer au Jourdain. Cependant, certains syndicats jouent un rôle positif, comme l’UD CGT 31 qui a pris ses responsabilités à Toulouse en déposant les manifestations à l’automne/hiver 2023 qui était alors toutes réprimées ou en s’engageant pour la libération de Georges Abdallah. Plus encore, certaines sections syndicales (comme la CGT RATP Bus des sections Malakoff ou Nanterre Charlebourg) ont appelé les travailleurs et travailleuses à se mettre en grève en soutien au peuple palestinien et contre le gouvernement français qui soutient l’occupation israélienne. De la même manière, des syndicalistes de différents secteurs de la CGT de Toulouse ont appelé à rompre les relations de la centrale syndicale française avec la Histadrout, le syndicat israélien qui est une cheville ouvrière de la colonisation sioniste depuis ses débuts. Cela renoue avec une tradition anti-impérialiste du mouvement ouvrier qui est en capacité d’apporter un soutien significatif au peuple palestinien en confrontant la responsabilité de l’impérialisme occidental et de ses monopoles. Et c’est d’autant plus important de bâtir cette mobilisation quand on sait que la France est le premier exportateur européen d’armes vers Israël et que des grands groupes français sont directement impliqués, à l’image de Thalès qui coopère avec le fabricant d’armes israélien Elbit Systems.

  • 4) La question palestinienne a divisé et polarisé le débat en France. Ceux qui ne se « désolidarisent » pas des organisations de guérilla palestinienne sont accusés d' »antisémitisme ». Ceux qui tentent de s’opposer au sionisme sont immédiatement accusés d' »antisémitisme ». Les journaux bourgeois confondent délibérément les deux termes. Défendre Israël pour la France, c’est défendre la puissance atlantique. Quel est le poids du sionisme aujourd’hui, et dans quelle mesure affecte-t-il la politique française ?

L’assimilation de l’antisionisme à de l’antisémitisme et maintenant les attaques pour “apologie du terrorisme” sont autant de manœuvres visant à interdire toute forme de contestation de l’ordre colonial et impérialiste. Ce sont des procédés qui sont mis en œuvre depuis des décennies mais qui se sont accélérés dans la dernière période car la faillibilité du projet sioniste a été mise à nu. Il fallait donc tout mettre en œuvre pour garantir sa pérennité mais aussi sa légitimité politique, en particulier dans les centres impérialistes qui sont ses pourvoyeurs de fonds. Pour autant, nous pensons que le poids de cette politique s’explique d’abord par la nature de la France en tant que puissance impérialiste et le rôle que joue l’État sioniste dans la région. Évidemment, le mouvement sioniste est fort en France mais c’est d’abord la convergence d’intérêts entre les forces impérialistes et Israël qui explique cette politique. Il faut sans cesse rappeler qu’Israël n’est que le poste avancé de l’impérialisme occidental dans le Monde Arabe et que l’impunité dont il jouit sur la scène internationale (en réalité dans le Nord global) s’explique principalement par cette dimension plutôt que par le poids réel ou supposé du sionisme en tant qu’idéologie coloniale et raciste.