Invité par Urgence Palestine Marseille, le Collectif Palestine Vaincra a participé à une table ronde « Répression des militants » ce samedi 16 mars aux côtés du politologue François Burgat ainsi que le CAP, CAPJPO-Europalestine et Samidoun Paris Banlieue.Veuillez trouver ci-dessous la retranscription de notre intervention.

Le lendemain, nous étions présents à la manifestation hebdomadaire marseillaise de soutien au peuple palestinien qui a une nouvelle fois réunie de très nombreuses personnes. A cette occasion, nous avons pris la parole pour souligner l’importance de développer la coopération entre nos organisations afin de construire un mouvement de solidarité avec la Palestine radicalement antisioniste et anti-impérialiste.

Tout d’abord, merci à Urgence Palestine pour son invitation. Je voudrais commencer mon intervention par rendre hommage à Sami Benjaffel, militant du FUIQP Montpellier décédé le 11 mars dernier. L’ensemble du mouvement de solidarité avec la Palestine a perdu un soutien précieux. Nous voudrions lui dédier cette journée.

La criminalisation du mouvement de solidarité avec la Palestine en France est une histoire ancienne qui s’est accélérée depuis le 7 octobre dernier. Mais de quoi est-elle l’expression ? Pour nous, il est important de revenir sur les origines de cette politique.

Depuis plus de 200 ans, forte de son étiquette de « pays des droits de l’Homme » et de sa devise « liberté – égalité – fraternité », la France utilise son prétendu universalisme républicain pour étendre sa domination dans le monde. C’est sur ces bases qu’elle a construit son empire colonial dans le passé et qu’elle est devenue aujourd’hui une des principales puissances impérialistes dans le monde. C’est donc tout naturellement, que la France a toujours soutenu la colonisation sioniste de la Palestine, étant donné les enjeux et intérêts stratégiques que représente cette région du monde. La politique de répression des militants pro-palestiniens répond donc à cette exigence : garantir la stabilité et la sécurité d’Israël en tant que prolongement organique de l’impérialisme occidental. Fondateur du mouvement sioniste en Europe à la fin du XIXème siècle, Théodore Herzl annonçait ainsi son projet en Palestine : « Pour l’Europe, nous construirions là-bas une partie du mur à dresser face à l’Asie, nous pourvoirions aux avant-postes de la civilisation contre la barbarie. »

C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre la stratégie d’assimilation de l’antisionisme à l’antisémitisme. Une confusion qui a été entretenue durant des années par des antisémites notoires comme Dieudonné et Alain Soral qui ont fait beaucoup de mal en déversant leurs discours réactionnaires derrière un discours pro-palestinien de façade.

Dès le début de son mandat en 2017, le président Emmanuel Macron a affirmé « l’antisionisme est le nouvel antisémitisme ». Il réitère régulièrement cette imposture intellectuelle notamment en mars 2022 à Toulouse où il affirme que « le Collectif Palestine Vaincra est un collectif antisémite » et désigne l’antisionisme comme un ennemi de la République. Ces prises de positions font partie d’une stratégie plus globale des partisans de l’occupation sioniste dont l’objectif est de combattre le mouvement croissant de défense d’une Palestine libre de la mer au Jourdain. Un exemple central de cette stratégie est la définition de l’antisémitisme proposée par l’IHRA (International Holocaust Remembrance Alliance), définition encadrée par des exemples assimilant la remise en cause du projet sioniste à de l’antisémitisme. Au lieu de s’attaquer aux principales sources d’antisémitisme aujourd’hui (en particulier l’extrême droite occidentale), sept des onze exemples associés à la définition mentionnent Israël. Ainsi, il serait antisémite de dire « que l’existence de l’État d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste ». Les enjeux autour de l’adoption de cette définition visent d’abord à légitimer le projet sioniste en Palestine et criminaliser les voix antisionistes, en premier lieu les Palestiniens eux-mêmes. Cette stratégie de la Hasbara sioniste peut se résumer ainsi : déformer la nature de la lutte palestinienne, détourner la nature colonialiste du sionisme et diffamer comme antisémites tous ceux qui dénoncent et condamnent les atrocités israéliennes.

Cette définition a été adoptée à l’Assemblée Nationale, au Sénat mais également par les villes de Nice et Paris. Preuve que cette définition n’emporte pas le consensus, le vote au parlement français a eu lieu avec difficulté, y compris au sein de la majorité présidentielle, et mieux encore, la ville de Strasbourg a rejeté l’adoption de cette définition reconnaissant qu’elle était une tentative d’instrumentalisation dangereuse. Aujourd’hui, elle est un outil de plus aux mains des soutiens d’Israël mais rappelons qu’en France aucune loi n’interdit l’antisionisme en dépit des mensonges et amalgames proférés par l’extrême droite israélienne et ses soutiens. Mais on voit une offensive sans précédent qui visent à criminaliser cette position tout comme les slogans appelant à la libération de la Palestine de la mer au Jourdain.

Cette stratégie est d’autant plus nécessaire pour l’impérialisme que la véritable nature de l’Etat sioniste, en tant qu’entité de colonisation de peuplement, n’a jamais été aussi évidente aux yeux du monde entier, tout comme sa vulnérabilité à l’image d’un géant aux pieds d’argile. Comme l’a souligné le révolutionnaire palestinien Georges Habache en 1974 : « Un jour, la vérité sera claire pour tous, qu’il n’y a pas de paix dans la région avec l’existence d’un État fasciste et raciste basé sur une doctrine réactionnaire et dans le but de servir l’intérêt impérialiste. Le slogan d’une société démocratique en Palestine, lancé par la révolution palestinienne, est la seule voie vers la liberté et le progrès pour l’ensemble des peuples de la région, y compris les Juifs, et c’est la voie vers une paix permanente et durable. » Cette exigence passe par construire un mouvement de solidarité avec la Palestine qui combat fermement la criminalisation de l’antisionisme et affirme clairement que la seule alternative pour une paix juste et durable passe par l’établissement d’une Palestine libre et démocratique de la mer au Jourdain.

C’est dans le cadre de cette stratégie de criminalisation qu’il faut comprendre la répression qui vise le Collectif Palestine Vaincra depuis notre fondation il y a cinq ans. Car ce qui nous est reproché n’est pas ce que nous faisons mais ce que nous disons, ce que nous pensons. C’est-à-dire notre affirmation de l’illégitimité d’Israël en tant que projet de colonisation de peuplement et de la nécessité de la décolonisation de toute la Palestine de la mer au Jourdain. Depuis notre création, nous sommes la cible de campagnes de la part des partisans de l’apartheid israélien : des intimidations policières, des campagnes diffamatoires de groupuscules sionistes contre nos militants ou les salles qui nous accueillent ou les partenaires avec qui nous travaillons, des menaces (y compris physiques) dans les médias par le CRIF, la divulgation de numéros de téléphone sur des boucles Telegram, etc.

L’épisode le plus important fut le 24 février 2022 lorsqu’on apprend sur X/Twitter que le ministre de l’Intérieur Darmanin lance une procédure de dissolution contre notre collectif. Parallèlement, une autre procédure vise le Comité Action Palestine de Bordeaux. Ces procédures sont la suite de celles pratiquées en particulier contre des organisations antiracistes et musulmanes ces dernières années.

Face à cette attaque sans précédent nous avons mené une lutte sur deux niveaux : politique et juridique, le second étant conditionné au premier. Rapidement, nous avons reçu un très large soutien, fruit du travail que nous menons depuis plusieurs années localement, nationalement et internationalement avec de nombreuses organisations et sur la question de l’anti-répression. Ces attaques concernent l’ensemble du mouvement de solidarité avec la Palestine et plus largement toutes personnes attachées à la défense des libertés démocratiques en France. Plus de 12 000 personnes ont signé la pétition contre la dissolution, 34 organisations toulousaines ont fondé un comité de soutien, plus de 150 organisations ont dénoncé cette dissolution et des actions de solidarité ont eu lieu dans des dizaines de pays. De la bande de Gaza au camp de Chatila à Beyrouth en passant par le Canada, le Chili, la Suède ou encore la Tunisie et l’Italie.
Parallèlement, nous avons déposé deux recours devant le Conseil d’Etat, un suspensif et un annulation. Plusieurs organisations se sont portées intervenantes volontaires dans la procédure (Union Juive Française pour la Paix, Association France Palestine Solidarité et l’Union Syndicale Solidaires) ce qui a été un soutien important. Le 29 mai 2022, nous avons remporté une première étape avec la décision de la suspension de la procédure. C’est évidemment une victoire politique importante qui est d’abord une victoire collective. Reste maintenant à obtenir l’annulation de la procédure à l’occasion de l’étude du deuxième recours qui devrait avoir lieu dans quelques semaines/mois.

Suite au 7 octobre, l’offensive s’est poursuivie de la part du gouvernement français. Gérald Darmanin, déjà abonné aux attaques contre le collectif, s’est empressé de nous accuser d’être des « relais politiques » du Hamas, dans la matinale de France Inter le 12 octobre dernier. Le 24 octobre, durant les questions à l’Assemblée Nationale, il réitère ses propos en ajoutant qu’il interdirait « les manifestations pro-Hamas notamment celles du Collectif Palestine Vaincra ». Ces accusations seraient ridicules si elles n’étaient pas proférées par le Ministre de l’Intérieur et accompagnées d’une procédure pour « apologie du terrorisme » nous concernant, tout comme des dizaines d’autres personnes.

Cette campagne de propagande, de diffamation et de criminalisation vise à imposer le récit du gouvernement français et son « soutien inconditionnel » à Israël pour reprendre les mots de Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée Nationale, alors que l’occupation israélienne mène un génocide à Gaza. Mais ce sont aussi des outils pour tenter de nous silencier et que l’on pratique l’auto-censure.

Alors en guise de conclusion, nous voudrions citer les mots du révolutionnaire libanais Samah Idriss : « Si nous abandonnons la Palestine, nous nous abandonnons nous-mêmes ». Une chose est sûre, la répression ne nous fera pas taire et notre engagement reste total en faveur de la résistance du peuple palestinien et en défense de la perspective d’une Palestine libre et démocratique de la mer au Jourdain